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VIE ET ŒUVRE

effrayante. De l’embryon au nouveau-né il y a un abîme ; et du néant jusqu’à l’embryon, ce n’est déjà plus un abîme, mais quelque chose d’inconcevable. Ce n’est pas tout de dire que l’espace, le temps, la cause sont des formes de la spéculation et que le sens de la vie est en dehors de ces formes, mais toute notre vie n’est qu’une soumission de plus en plus grande à ces formes et de nouveau la délivrance d’elles.

« Mes souvenirs les plus lointains se rapportent ensuite à l’âge de quatre à cinq ans. Mais ils sont peu nombreux et aucun n’a trait à la vie en dehors de la maison.

« La nature, jusqu’à cinq ans, n’existe pas pour moi. Tout ce que je me rappelle se passe dans le lit, dans la chambre. Ni l’herbe, ni les feuilles, ni le ciel, ni le soleil n’existaient pour moi. Il est impossible qu’on ne m’ait pas donné pour jouer des fleurs, des feuilles, que je n’aie pas vu d’herbe, qu’on m’ait caché du soleil. Mais jusqu’à cinq ou six ans, aucun souvenir de ce que nous appelons la nature. Probablement qu’il faut s’éloigner d’elle pour la voir, tandis que moi j’étais la nature même.

« Après le baquet, le plus lointain souvenir est celui d’« Iéréméievna ». « Iéréméievna » c’était le mot avec lequel on nous effrayait quand nous étions enfants. Voici ce que je me rappelle à ce sujet. Je suis au lit, je suis gai et me sens bien comme toujours. Je n’y penserais pas, mais tout d’un coup, ma bonne ou quelque personne de notre