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VIE ET ŒUVRE

renversait sur la neige. L’ourse emportée par son élan bondit au-dessus de lui. « Eh bien ! pensa le comte, tout est fini, je l’ai raté, et je n’aurai pas le temps de tirer un autre coup. » Mais au même moment, il aperçut sur sa tête quelque chose de noir. C’était l’ourse qui, s’étant aussitôt retournée, tâchait de déchirer le crâne du chasseur qui l’avait blessée. Tolstoï couché sur le dos, dans la neige profonde, où il était comme ligoté, ne pouvait opposer qu’une résistance passive en tâchant le plus possible d’enfoncer sa tête dans ses épaules et de pousser sous les dents de l’animal son bonnet de fourrure. Grâce sans doute à cette défense instinctive, l’animal à deux reprises ne put faire qu’une seule blessure grave : déchirer la joue sous l’œil gauche et arracher la moitié gauche de la peau du front. À ce moment Ostachkov, qui n’était pas loin et comme toujours avait un bâton à la main, accourut, et, en écartant les bras, cria son habituel : « Où vas-tu ! Où vas-tu ! » À cette exclamation, l’ourse détala à toute vitesse, et, à ce qu’il paraît, on la retrouva le lendemain et l’acheva.

« La première parole de Tolstoï qui s’était mis debout sur ses pieds, la peau de son front pendant sur son visage, et qu’on banda sur place avec un mouchoir, fut : « Que dira Fet ? » Jusqu’à présent je suis fier de cette parole[1]. »

Dès qu’il fut remis, Léon Nikolaievitch se hâta d’informer sa tante de ce qui lui était arrivé, et dans

  1. Fet : Mes Souvenirs, 1re partie, p. 226.