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LÉON TOLSTOÏ

n’en exige de vous. Dans votre décision comme dans celle de Tolstoï, si je ne me trompe, il est seulement mal qu’elle soit provoquée par une certaine irritation contre la littérature et le public. Mais si un écrivain s’offensait à chaque manifestation de froideur, à tout article injurieux, alors il n’y aurait plus d’écrivains, sauf peut-être Tourgueniev, qui est capable d’être un ami général. Prendre à cœur les querelles, selon moi, c’est la même chose que monter à cheval et se fâcher que le cheval ne soit pas très doux, quand, étant sur lui, vous vous sentez en humeur poétique. Quant à moi, je puis vous dire que j’ai été insulté et offensé on ne peut mieux. Cependant je n’en perdais pas l’appétit, mais, au contraire, je trouvais un plaisir particulier à être assis solidement et avancer ; et, sans aucun doute, je ne quitterai pas la plume avant d’avoir écrit tout ce que je crois nécessaire d’exprimer[1]. »

Il est certain que Droujinine se trompait en attribuant ce silence à l’irritation contre le public. Si une irritation pareille existait, elle avait la même source que la décision de ne pas écrire, à savoir : la conscience qu’entre l’écrivain et le lecteur n’existaient ni base morale ni lien solide pour la compréhension réciproque.

L’écrivain ne savait pas ce qu’il lui fallait écrire, et le lecteur, dans la personne des critiques, ne savait pas ce qu’il devait exiger de l’écrivain. Cela

  1. Fet, Mes Souvenirs, Première partie, p. 334.