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LÉON TOLSTOÏ

avec les yeux spirituels, et il est horrifié. En homme sincère, avec une franchise extraordinaire, il s’avoue vaincu par elle, il se reconnaît insignifiant devant sa puissance. Et cette vérité le sauva. Depuis ce moment, on peut dire que la pensée de la mort ne le quitte plus. Elle l’amène à une crise morale inévitable et à la victoire sur elle. Un mois plus tard, à propos d’une autre mort, il écrit :

« Un garçon de treize ans est mort de phtisie dans les souffrances. Pourquoi ? La seule explication est donnée par la foi en une récompense future. S’il n’y a pas de vie future, il n’y a pas de justice ; et il ne faut pas de justice et le besoin de justice n’est que superstition… La justice est le besoin le plus essentiel de l’homme envers l’homme. L’homme cherche le même rapport vis-à-vis de l’univers. Sans la vie future, il n’y en a pas. L’utilité est la loi unique, immuable de la nature, diront les naturalistes. Il n’y en a pas dans les phénomènes de l’âme humaine, dans l’amour de la poésie ; dans ses meilleures manifestations il n’y en a pas. Tout cela existait, est mort, souvent sans se manifester. Si l’utilité est la seule loi de la nature, alors la nature a dépassé de beaucoup son but en donnant à l’homme le besoin de la poésie et de l’amour. »

Vingt-sept ans après, il écrit un livre « Sur la vie » qu’il conclut ainsi : « La vie de l’homme, c’est l’aspiration vers le bien. Ce à quoi il aspire lui est donné — la vie qui ne peut se terminer par la mort, et le bien qui ne peut être le mal. »