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LÉON TOLSTOÏ

en me dirigeant vers le salon. — « Venez ici, me dit à mi-voix Zakhar, me désignant la gauche du couloir. C’est le sabre du comte Tolstoï. Il s’est arrêté chez nous, et Ivan Sergueievitch prend le thé dans son cabinet de travail. » Pendant l’heure que je passai chez Tourgueniev nous causâmes à voix basse afin de ne pas réveiller le comte qui dormait dans la chambre voisine. — « Voici, tout le temps comme ça », dit Tourgueniev avec un sourire. « Il est revenu de Sébastopol, de la batterie, s’est arrêté ici, et il en fait une noce ! Les orgies, les tziganes, les cartes toute la nuit, et ensuite, jusqu’à deux heures il dort comme un mort. Au commencement j’ai essayé de le retenir, mais maintenant c’est fini. »

« Pendant ce séjour je fis la connaissance de Tolstoï, mais ce fut une connaissance de pure forme, car jusqu’à ce jour je n’avais pas lu une ligne de lui et n’avais pas même entendu parler de lui comme une force littéraire, bien que Tourgueniev m’ait touché quelques mots de son récit l’Enfance. Mais du premier coup je remarquai dans le jeune Tolstoï une opposition instinctive à tous les raisonnements généralement admis. Dans ce court espace de temps je ne l’ai vu qu’une seule fois chez Nekrassov. Le soir, dans notre cercle littéraire de célibataires, je fus témoin de l’agacement de Tourgueniev répondant aux objections évidemment contenues, mais d’autant plus ironiques, du comte Tolstoï.