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LÉON TOLSTOÏ

gueniev, cite l’opinion suivante, très intéressante, de Tourgueniev sur Tolstoï, qui nous fait toucher cet élément de désunion qui faillit rompre à jamais leurs bonnes relations.

« Chez Tolstoï, racontait Tourgueniev, parut très tôt un trait qui plus tard devint la base de toutes ses idées, trait assez sombre et pénible avant tout pour lui-même.

« Il ne croyait jamais à la sincérité des gens. Chaque mouvement moral lui semblait faux, et il avait l’habitude, avec le regard extraordinairement pénétrant de ses yeux, de cingler l’homme qui, lui semblait-il, ne disait pas la vérité. Ivan Serguéievitch m’a raconté qu’il n’avait jamais rien senti de plus pénible que ce regard pénétrant qui, joint à deux ou trois mots d’une observation venimeuse, était capable de mettre en fureur un homme se possédant mal. Le comte Tolstoï avait choisi comme objet de ses sarcasmes (et presque exclusivement) son ami Tourgueniev.

« Comme le raconte Ivan Serguéiévitch, le sang-froid de notre écrivain, son égalité morale dans cette période brillante de son activité littéraire, ne lui laissaient pas de repos, et il avait l’air de s’être donné comme but de mettre hors de soi cet homme calme, bon, qui travaillait croyant faire quelquechose d’utile. Mais le malheur était que le comte Tolstoï n’y avait pas foi, et les hommes que nous croyions bons, pour lui ne faisaient que feindre d’être tels ou tâcher de manifester en eux