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Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/110

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LÉON TOLSTOÏ

voudra lui faire dire. Dans tout l’empire russe on ne trouverait sans doute pas un seul scribe, ni même un paysan illettré pour faire, le lendemain du crime, un aveu pareil.

« Et qui pouvait pousser un homme sachant lire et écrire à un aveu pareil ? À moins d’être idiot, il devait comprendre que cet aveu ne pouvait atténuer sa peine. Ce n’est pas non plus le remords qui pouvait l’amener à cet aveu, car son crime n’est pas de ceux qui, engendrant de grandes tortures de conscience, produisent le besoin de se soulager par un aveu sincère. Seul un homme privé de la capacité de calculer les conséquences de ses actes, c’est-à-dire un homme psychiquement malade, pouvait agir ainsi. L’aveu de Chibounine est la meilleure preuve de l’état maladif de son esprit. Est-il sain d’esprit l’homme qui commet son crime dans les conditions où le commet Chibounine ? Comme scribe il connaît la loi qui punit de mort celui qui portera la main sur son chef. Il connaissait d’autant mieux cette loi que, quelques jours avant son crime, lui-même avait recopié un rapport concernant l’exécution d’un soldat qui avait frappé son officier. Et malgré cela, en présence de sous-officiers, de soldats, d’étrangers, il commet son crime. De l’acte d’accusation, non seulement on ne voit pas la préméditation, la conscience, mais il est même évident que l’acte fut commis en l’absence de toutes facultés morales, ou dans un accès de rage ou de folie.

« Après une nuit sans sommeil, resté seul dans la chancellerie, il dort et somnole, hanté de la seule pensée qui le tenaille comme une idée fixe : l’offense