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Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/277

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VIE ET ŒUVRE

naissant de votre dernière lettre, que je ne méritais pas. Pour expliquer et justifier mon silence, je dois parler de moi. À mon retour de Samara et d’Orenbourg, voilà bientôt deux mois (j’ai fait un voyage admirable), j’ai pensé que je pourrais commencer le travail qui m’étouffe depuis longtemps, terminer le roman et me mettre à quelque chose de nouveau. Et tout d’un coup, au lieu de cela, je n’ai rien fait, je dors spirituellement et ne peux m’éveiller. Je me porte mal, c’est la tristesse, je suis désespéré de mes forces. Que me prépare le sort, je ne sais, mais c’est pénible de terminer la vie sans respect pour elle, et ce respect ne s’obtient que par un certain travail.

« Je n’ai pas même la force de penser. Oui, je suis tout à fait mal, ou c’est un somme avant la bonne période de travail. Je ne puis pas réfléchir, mais je puis comprendre, vous surtout, et j’ai compris et apprécié votre première lettre, et de toute mon âme je désire que vous terminiez ce travail. Je l’ai lu plusieurs fois et l’ai relu à Fet ; et nous avons compris et approuvé vos pensées. Une seule chose, la question : Qu’est-ce que la vraie connaissance ? exige la réponse. Nous ne connaissons que ce que nous aimons. Votre dernière question, dans notre correspondance philosophique était : Qu’est-ce que le mal ? Je puis répondre pour moi. Je vous en donnerai l’explication une autre fois, à Noël, j’espère. Je vous en prie, venez. Alors la réponse sera celle-ci : le mal, c’est ce qui est raisonnable au point de vue du monde. Le meurtre, le vol, la punition, tout cela est raisonnable, basé sur les conclusions logiques. Le sacrifice, l’amour, c’est l’insa-