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LÉON TOLSTOÏ

avait traversée venait de prendre fin, et il avait achevé son grand travail sur l’étude de l’Évangile. Dans ce travail il avait réussi à pénétrer l’essence même de la doctrine du Christ, doctrine de l’amour, de l’humilité et du pardon, et la conscience de cette lumière qui se découvrait devant lui le rendait particulièrement sensible aux souffrances des hommes et à tous leurs écarts de la loi divine. Il envisageait tout ce qui l’entourait dans l’esprit du sermon sur la montagne.

Dans un pareil état moral, il ne pouvait sans doute acquiescer au meurtre d’Alexandre ii. Mais l’exécution des meurtriers d’Alexandre ii fit sur lui une impression encore plus profonde.

Comme nous l’interrogions sur ce sujet, il nous répondit :

« Je ne puis rien vous dire de particulier de l’impression que fit sur moi l’événement du 1er mars ; mais le procès des meurtriers, les préparatifs de leur exécution me causèrent une des impressions les plus fortes de ma vie. Je ne pouvais détourner ma pensée de ces malheureux, de ceux qui se préparaient à les châtier, et surtout d’Alexandre iii. Je me représentais si vivement le bonheur que le tsar pourrait éprouver en faisant grâce à ces égarés, que je ne voulais pas croire qu’on pût les exécuter ; et en même temps, j’en avais peur, et souffrais pour leurs bourreaux.

« Je me souviens qu’un jour, après le dîner, ayant cette idée en tête, je m’allongeai sur le divan de cuir du rez-de-chaussée, et, finalement, m’endormis à moitié. Dans ce demi-sommeil, je pensai à ces hommes et à l’exécution qui se préparait, et, tout à