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Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/373

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VIE ET ŒUVRE

degré léger où il n’écrase pas, ne torture pas. Je n’ai point d’attachement pour le monde, et tâche de détruire tout ce qui peut y ressembler… J’y pense sans cesse, et il me semble que je fais quelques progrès. Je ne vous les conterai point, parce qu’ils sont encore très petits, et, peut-être même, illusoires. Je ne suis pas capable d’efforts aux tournants brusques, mais je sais qu’en m’attachant à une seule pensée, dans une seule direction, je puis arriver à quelque chose de bien. Je suis devenu incomparablement plus tranquille que je n’étais, et tout cela, grâce à vous et à la lecture des livres des moines. Il est vrai que ce calme est brisé constamment, et il faut sans cesse lutter, mais ces tâtonnements sont loin d’être aussi pénibles qu’ils l’étaient. Aimer les hommes, mon Dieu, que c’est doux ! Et à un degré très faible j’éprouve ce sentiment. Je le connais par expérience ; mais je n’ai pas de force, en cela comme en tout, et tous les meilleurs sentiments que je trouve en moi je les garde, je les cultive, j’y tiens, mais il n’est pas en mon pouvoir de leur donner l’élan et la foi. Telle est ma nature, tel est mon sort. La vie s’est modelée sur ces qualités. Ne soyez donc pas sévère, exigeant pour moi. Je vous dois probablement les meilleurs moments de ma vie. Ne voyez donc point que ce qui est mauvais en moi, mais aussi ce qu’il y a de bon. Et d’ailleurs sermonnez-moi. Je vous écouterai volontiers, vous le savez bien. »

En janvier 1882, se préparait, à Moscou, le recensement qui devait être fait en trois jours, les 23, 24 et 25 janvier. Tolstoï eut l’idée de profiter de ce recensement pour se rendre compte de la