Page:Bishop - En canot de papier de Québec au golfe du Mexique, traduction Hephell, Plon, 1879.djvu/128

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chapitre septième

de cette côte, il était trop périlleux de chercher à prendre terre, car alors le canot aurait couru le risque d’être broyé par des paquets de mer. Il n’avait que quelques pouces hors de l’eau, mais sa grande tonture, son avant bien développé et le poli de sa coque, joints à beaucoup d’attention, le préservèrent contre le danger. J’avais lutté pendant quatorze milles depuis le matin, et j’étais fatigué par les efforts que j’avais dû faire pour diriger mon canot à travers les vagues qui étaient devenues très-grosses. Quand j’eus atteint la pointe de Slaughter-Beach, où la baie a une largeur d’environ dix-neuf milles, le vent faisait rage, menaçait à chaque instant de noyer ma petite embarcation et de me jeter à la côte. Pour comble d’inquiétude, quand le canot montait et descendait avec les vagues, des pilotis pointus montraient et cachaient tour à tour leurs têtes dans les eaux troublées. C’était à ces pilotis que les pêcheurs attachaient leurs filets dans la saison de la pêche au Tantog. Le danger d’être empalé sur l’un d’eux me força encore à me tenir à distance de la terre.

Les vagues courant sur des bas-fonds étaient devenues aussi irrégulières que clapoteuses ; à la fin, celle qui m’était sans doute destinée, et que j’appellerais volontiers la mienne, fondit sur le canot, venant du fond, se brisant, se gonflant, formidable ; je fis tous mes efforts pour l’éviter, car il s’agissait de ma vie ; mais ne sachant où elle irait se briser, je lançai le canot sur la grève, où la mer déferlait avec un bruit assourdissant. Il ne fallut qu’un moment pour voir fondre sur moi la grande vague noire qui, soulevant la vase du fond, se