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Page:Bishop - En canot de papier de Québec au golfe du Mexique, traduction Hephell, Plon, 1879.djvu/202

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chapitre dixième.

propriera-t-il jamais ce frêle marchepied ? nous demandions-nous. Nous engloutira-t-il un jour dans sa mâchoire insatiable, comme la baleine fit de Jonas ? Sans trêve et sans relâche dans la tempête, elle mugissait, hurlait, gémissait, semblable à une légion de démons, si bien que, dans ce vacarme, on avait peine à distinguer le bruit des arbres déracinés et le craquement des solides chênes verts. Néanmoins, pendant cette épouvantable nuit, mon hôte se tenait à côté de sa jolie femme, près de la grande cheminée, aussi calme que si nous eussions été à l’abri derrière une montagne ; il discourait des orages, des naufrages et des terribles épisodes dont cette côte désolée a été le théâtre, avec un calme qui me faisait palpiter d’horreur.

Dans l’après-midi, en parcourant cette plage, en voyant tant de débris, qui sont les pierres tombales des navires perdus, j’essayai de calculer le nombre de ceux qui avaient laissé leurs membres desséchés sur la plage d’Hatteras, depuis le temps où les navires de sir Walter Raleigh avaient mouillé au-dessus du cap, et il résulta de mes supputations qu’une ligne non interrompue de bateaux, épave sur épave, couvrirait la plage, sur des milles et des milles de long. On aurait pu construire des centaines de milles de murailles avec les débris recueillis sur la côte ; les habitants de ces parages auraient été enrichis par le profit de tant de cargaisons.

Pendant cette terrible nuit, tandis que le canot était remisé en sûreté dans les joncs des marais du cap, et que son propriétaire se chauffait au bon feu du jeune astronome, dans la passe, à moins de vingt milles de nous,