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Page:Bishop - En canot de papier de Québec au golfe du Mexique, traduction Hephell, Plon, 1879.djvu/238

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EN CANOT DE PAPIER.

née. Il me semblait que j’avais laissé le monde réel derrière moi, et que j’étais entré dans une région sans terre, composée de ciel, d’arbres et d’eau. « Prenez garde aux raccourcis, il y a des gens qui sont morts dans de tels parages, m’avait dit Hall avant mon départ ; les crackers et les bûcherons sont les seuls qui les connaissent. Les raccourcis tournent et retournent sur eux-mêmes, courant nord et sud, est et ouest, comme s’ils voulaient entrer en lutte avec tous les points du compas. »

Après avoir dépassé un coude, je pouvais lancer un bâton à travers les arbres dans le chenal que le canot, en suivant sa route, venait de laisser à un quart de mille derrière lui. La perspective du sort qui m’attendait dans cette région inondée, si mon fragile bateau dans sa course rapide jusqu’à la mer venait à être crevé par un chicot, était des moins agréables pour ne rien dire de plus. Où aller pour le réparer ? Grimper sur un arbre paraissait être en pareil cas ma seule ressource ; mais avec quelle anxiété n’aurais-je pas attendu dans cette dangereuse position que quelque bûcheron passât dans son dug-out et vînt à mon secours ! Peut-être serais-je resté là jusqu’à ma dernière heure.

Certains sons frappèrent alors mon oreille et me firent savoir que je n’étais pas tout à fait seul dans ce marais désolé. Les écureuils gris faisaient du tapage au sommet des arbres ; les rouges-gorges, les grives brunes et un gros pivert noir à fête rouge et éclatante, me rappelaient Celui sans la volonté de qui il n’est pas un moineau qui puisse mourir.