Page:Bishop - En canot de papier de Québec au golfe du Mexique, traduction Hephell, Plon, 1879.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
chapitre onzième.

ce que j’ai. » Il enferma mon canot dans un vieux magasin délabré et me fit comprendre « que les nègres seraient capables de voler le pain dans la bouche d’un homme » !

Il me conduisit à sa maison, et m’apprit comment il gouverne les noirs. Sa femme était assise silencieusement près du feu. Il lui ordonna « d’aller piler le riz », et elle en jeta une certaine quantité, pour le décortiquer, dans un mortier de bois de trois pieds de haut, planté dans la terre devant son habitation. La négresse, armée d’un énorme pilon, écrasa le riz, assise sur le sol près de la cabane, et soufflant de toute la force de ses poumons, elle procéda au vannage, tandis qu’avec ses doigts minces et effilés, elle écartait tous les déchets. On fit cuire le riz à la manière des Chinois — sans le laisser réduire à l’état de masse pâteuse, comme on le prépare dans le Nord, mais au contraire en conservant chaque grain sec et entier. Le fils, garçon de quatorze ans, et non pas la femme, apprêta des œufs et du lard.

Toutes ces manœuvres étaient surveillées par le vieux Seba, avec l’air solennel, sombre et savant d’un juge suppléant trônant sur le siège d’un tribunal du New-Jersey. Sur la plus noire des tables, et sans nappe, un repas bien accommodé avait été servi à l’étranger. Aussitôt qu’il fut terminé, les membres de la famille se précipitèrent sur les restes, et la table se trouva desservie avec une rapidité incroyable. Puis nous nous rassemblâmes tous autour d’une grande cheminée dont le fond était du plus beau noir, et où de brillants charbons de