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Page:Bishop - En canot de papier de Québec au golfe du Mexique, traduction Hephell, Plon, 1879.djvu/262

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EN CANOT DE PAPIER.

chênes verts jetaient çà et là leurs lueurs incandescentes. Dans cette pénombre, des hommes noirs et des femmes noires circulaient dans la chambre, si bien que tout, depuis le plancher jusqu’au plafond, et depuis la porte jusqu’à la cheminée, me paraissait devenir de plus en plus noir, et que je finis par me trouver moi-même aussi noir que mon entourage.

Le pauvre vêtement des hommes ne couvrait qu’à moitié leur peau brillante, couleur d’ébène. La compagnie tout entière conservait un silence plein de dignité, interrompu de temps à autre par les soupirs profonds des femmes, qui disaient : « Avoir fait toute cette route, depuis le Nord, dans un canot de papier ! Dieu soit béni, Dieu soit béni ! » Cette monotonie, dénuée de toute gaieté, fut interrompue par l’arrivée d’un noir qui avait navigué en sloop, depuis Charleston, par la baie du Bull, et on le regardait en conséquence comme un grand voyageur ; on le prenait pour juge dans les questions maritimes. Il n’avait pas encore vu le canot de papier ; néanmoins, il enseigna à l’auditoire tout ce qu’il en était. Il me salua premièrement, en disant : « Bonjour, bonjour, capitaine, comment allez-vous ? » Ensuite, il prit une pose à effet dans le milieu de la pièce. Sur cet orateur de nature, la dignité de Seba-Gillings n’avait aucun empire, car n’était-il pas un navigateur expérimenté ? Voici son exorde :

« Combien avez-vous fait de milles, capitaine ?

— Quatorze cents milles, lui dis-je.

— Comment ! quatorze cents milles ! s’écria-t-il ; mais savez-vous bien, vous autres bonnes femmes, combien