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Le travail peut nuire gravement à votre santé. En fait, le travail est un meurtre de masse, un génocide. Directement ou indirectement, le travail va tuer la plupart des lecteurs de ces lignes. Les statistiques disent qu’entre 14 000 et 25 000 personnes meurent, aux État-Unis, dans l’exercice de leur profession. Plus de 2 millions de travailleurs ont été mutilés ou ont gardé un handicap. De 20 à 25 millions d’entre eux sont blessés chaque année. Précisons que ces chiffres sont basés sur une estimation extrêmement conservatrice de ce qu’est un accident du travail. Ainsi, ils n’incluent pas les 500 000 patients souffrant de maladies professionnelles. J’ai feuilleté récemment un livre consacré aux maladies professionnelles qui comptait plus de 1200 pages. Et toutes ces données ne font qu’effleurer la réalité. Les statistiques disponibles ne prennent en compte que les cas évident, comme les 100 000 mineurs atteints de pneumoconiose ou de silicose et dont 4000 meurent chaque année, ce qui équivaut à un taux de mortalité bien plus élevé que, par exemple, celui du sida. Si ce dernier retient infiniment plus l’attention des médias, cela ne fait que refléter le postulat selon lequel le sida frappe surtout des pervers qui pourraient choisir de renoncer à la dépravation tandis que le travail de la mine est une activité sacrée qu’on ne saurait remettre en cause. Ce que taisent les statistiques, ce sont ces millions de vies qui sont abrégées par le travail – ce qui constitue une forme d’homicide, après tout… Voyez les médecins qui se tuent à la tâche, la cinquantaine venue. Voyez tous les autres workaholics, ces forcenés du boulot pour lesquels le travail est une drogue.

Même si vous n’êtes pas tué ou mutilé au travail, il se pourrait bien que cela vous arrive en y allant ou en en revenant, ou bien pendant que vous en cherchez, ou encore pendant que vous essayez d’en oublier les tourments. La grande majorité des accidentés de la route le sont, directement ou indirectement, dans le cadre d’une de ces activités que le travail rend obligatoire : trajets professionnels, transports de main-d’oeuvre, congés payés. À ce bilan aggravé des victimes du travail, on doit d’ajouter celles de la pollution industrielle et automobile ou de l’alcoolisme et de la toxicomanie induits par la misère du travail. Tant les maladies cardiaques que les cancers sont des pathologies modernes qu’on peut lier, dans la plupart des cas, au travail.

Le travail institue donc l’homicide comme mode de vie. Les gens pensent que les Cambodgiens ont été dingues de s’exterminer eux-mêmes, mais sommes-nous bien différents ? Le régime de Pol Pot reposait tout au moins sur une vision, aussi confuse fût-elle, d’une société égalitaire.

Nous tuons des gens par millions dans le but de vendre des Big Mac et des Cadillac aux survivants. Nos 40 000 ou 50 000 morts annuels sur les routes sont des victimes et non des martyrs. Morts pour rien – ou, pour mieux dire, morts au nom du travail. Or, le culte du travail ne mérite vraiment pas qu’on meure pour lui.

Mauvaise nouvelle pour les sociaux-démocrates : les bricolages régulateurs sont de peu d’effet dans ce contexte de vie ou de mort. L’OSHA, organisme fédéral chargé de la santé et de la sécurité du travail, a été conçue pour mettre de l’ordre au coeur du problème : la sécurité dans les entreprises. Avant même que Reagan et la Cour suprême ne l’asphyxient, l’OSHA était une farce. Sous Carter, alors que le financement de cet organisme était plus généreux, une entreprise pouvait s’attendre à une visite-surprise tous les quarante-six ans…

Le contrôle de l’économie par l’État ne résoudrait pas plus le problème. Le travail était encore plus dangereux dans les pays socialistes. Des milliers de travailleurs russes sont morts ou ont été blessés en construisant le métro de Moscou. Et, comparé aux catastrophes nucléaires, camouflées ou non, qui ont jalonné ces dernières décennies l’histoire de l’URSS, l’accident de Three Miles Island fait figure d’exercice d’alerte pour riverains de centrale nucléaire. Il n’en reste pas moins que la déréglementation en vogue depuis les années 80 n’arrangera rien, bien au contraire, en matière de sécurité du travail. Du point de vue sanitaire, entre autres, le travail a connu sa période la plus noire à l’époque où l’économie s’approchait au plus près du laisser-faire intégral. Un historien comme Eugene Genovese se montre convaincant quand il avance – comme le font d’ailleurs les pires apologistes de l’esclavage antérieur à la guerre de Sécession – que les travailleurs salariés des usines du nord des États-Unis et de l’Europe connaissaient un sort moins enviable que celui des esclaves des plantations du Sud. Nul rééquilibrage du rapport de force entre hommes d’affaires et bureaucrates ne semble susceptible de changer les choses en matière de production. Une application coercitive et systématique des normes sanitaires de l’OSHA, pour vagues et timides qu’elles soient, paralyserait sans doute l’économie. Et ceux qui sont chargés de faire respecter ces critères le savent bien, puisqu’ils ne font même pas mine de sévir à l’encontre de la plupart des entreprises en infraction.


Ce que j’ai dit jusqu’ici ne devrait prêter à aucune controverse. La plupart des travailleurs en ont marre du travail. Les taux d’absentéisme, de vols et de sabotages commis par les employés sont en hausse continuelle, sans parler des grèves sauvages et de la tendance générale à tirer au flanc. C’est peut-être là l’amorce d’un mouvement de rejet conscient, et plus seulement viscéral, à l’égard du travail. Cela n’empêche pas que le sentiment qui prévaut, parmi tous les patrons et leurs séides, mais aussi chez la plupart des travailleurs, est que le travail lui-même