Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/122

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ou les Républiques dépositaires de ce pouvoir ; et c’est ce que saint Paul nous apprend, lorsque, parlant du droit que les souverains ont de faire mourir les hommes, il le fait descendre du ciel en disant que ce n’est pas en vain qu’ils portent l’épée, parce qu’ils sont ministres de Dieu pour exécuter ses vengeances contre les coupables.

Mais comme c’est Dieu qui leur a donné ce droit, il les oblige à l’exercer ainsi qu’il le ferait lui-même, c’est-à-dire avec justice, selon cette parole de saint Paul au même lieu : Les princes ne sont pas établis pour se rendre terribles aux bons, mais aux méchants. Qui veut n’avoir point sujet de redouter leur puissance n’a qu’à bien faire ; car ils sont ministres de Dieu pour le bien. Et cette restriction rabaisse si peu leur puissance qu’elle la relève au contraire beaucoup davantage ; parce que c’est la rendre semblable à celle de Dieu, qui est impuissant pour faire le mal, et tout-puissant pour faire le bien ; et que c’est la distinguer de celle des démons, qui sont impuissants pour le bien, et n’ont de puissance que pour le mal. Il y a seulement cette différence entre Dieu et les souverains, que Dieu étant la justice et la sagesse même, il peut faire mourir sur-le-champ qui il lui plaît, et en la manière qu’il lui plaît ; car, outre qu’il est le maître souverain de la vie des hommes, il est sans doute qu’il ne la leur ôte jamais ni sans cause, ni sans connaissance, puisqu’il est aussi incapable d’injustice que d’erreur. Mais les princes ne peuvent pas agir de la sorte, parce qu’ils sont tellement ministres de Dieu qu’ils sont hommes néanmoins, et non pas dieux. Les mauvaises impressions les pourraient surprendre, les faux soupçons les pourraient la aigrir, passion les pourrait emporter ; et c’est ce qui les a engagés eux-mêmes à descendre dans les moyens humains, et à établir dans leurs États des juges auxquels ils ont communiqué ce pouvoir, afin que cette autorité que Dieu leur a donnée ne soit employée que pour la fin pour laquelle ils l’ont reçue.

Concevez donc, mes Pères, que, pour être exempts d’homicide, il faut agir tout ensemble et par l’autorité de Dieu, et selon la justice de Dieu ; et que, si des deux conditions ne sont jointes, on pèche, soit en tuant avec son autorité, mais sans justice ; soit en tuant avec justice, mais sans son autorité. De la nécessité de cette union il arrive, selon saint Augustin, que celui qui, sans autorité tue un criminel, se rend criminel lui-même, par cette raison principale qu’il usurpe une autorité que Dieu ne lui a pas donnée ; et les juges au contraire, qui ont cette autorité, sont néanmoins homicides, s’ils font mourir un innocent contre les lois qu’ils doivent suivre.

Voilà, mes Pères, les principes du repos et de la sûreté publique qui ont été reçus dans tous les temps et dans tous les lieux, et sur lesquels tous les législateurs du monde, saints et profanes, ont établi leurs lois, sans que jamais les païens mêmes aient apporté d’exception à cette règle, sinon lorsqu’on ne peut autrement éviter la perte de là pudicité ou de la vie ; parce qu’ils ont pensé qu’alors, comme dit Cicéron, les lois mêmes semblent offrir leurs armes à ceux qui sont dans une telle nécessité.

Mais que, hors cette occasion, dont je ne parle point ici, il y ait jamais eu de loi qui ait permis aux particuliers de tuer, et qui l’ait souffert, comme vous faites, pour se garantir d’un affront, et pour éviter la perte de l’honneur ou du bien, quand on n’est point en même temps en péril de la vie ; c’est, mes Pères, ce que je soutiens que jamais les infidèles mêmes n’ont fait. Ils l’ont au contraire défendu expressément ; car la loi des 12 Tables de Rome portait : qu’il n’est pas permis de tuer un voleur de jour qui ne se défend point avec des armes. Ce qui avait déjà été défendu dans l’Exode, c. 22. Et la loi Furem, ad Legem Corneliam, qui est prise d’Ulpien, défend de tuer même les voleurs de nuit qui ne nous mettent pas en péril de mort. Voyez-le dans Cujas, In tit. dig. de Justit. et Jure, ad l. 3.

Dites-nous donc, mes Pères, par quelle autorité vous permettez ce que les lois divines et humaines défendent ; et par quel droit Lessius a pu dire, l. 2, c. 9, n. 66 et 72 :