Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/123

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L’Exode défend de tuer les voleurs de jour, qui ne se défendent pas avec des armes, et on punit en justice ceux qui tueraient de cette sorte. Mais néanmoins on n’en serait pas coupable en conscience, lorsqu’on n’est pas certain de pouvoir recouvrer ce qu’on nous dérobe, et qu’on est en doute, comme dit Sotus ; parce qu’on n’est pas obligé de s’exposer au péril de perdre quelque chose pour sauver un voleur. Et tout cela est encore permis aux ecclésiastiques mêmes. Quelle étrange hardiesse ! La loi de Moïse punit ceux qui tuent les voleurs, lorsqu’ils n’attaquent pas notre vie, et la loi de l’Evangile, selon vous, les absoudra ? Quoi ! mes Pères, Jésus-Christ est-il venu pour détruire la loi, et non pas pour l’accomplir ? Les juges puniraient, dit Lessius, ceux qui tueraient en cette occasion ; . mais on n’en serait pas coupable en conscience. Est-ce donc que la morale de Jésus-Christ est plus cruelle et moins ennemie du meurtre que celle des païens, dont les juges ont pris ces lois civiles qui les condamnent ? Les Chrétiens font-ils plus d’état des biens de la terre, ou font-ils moins d’état de la vie des hommes que n’en ont fait les idolâtres et les infidèles ? Sur quoi vous fondez-vous, mes Pères ? Ce n’est sur aucune loi expresse ni de Dieu, ni des hommes, mais seulement sur ce raisonnement étrange : Les lois, dites-vous, permettent de se défendre contre les voleurs et de repousser la force par la force. Or la défense étant permise, le meurtre est aussi réputé permis, sans quoi la défense serait souvent impossible.

Cela est faux, mes Pères, que la défense étant permise, le meurtre soit aussi permis. C’est cette cruelle manière de se défendre qui est la source de toutes vos erreurs, et qui est appelée, par la Faculté de Louvain, UNE DEFENSE MEURTRIERE, defensio occisiva, dans leur censure de la doctrine de votre P. Lamy sur l’homicide. Je vous soutiens donc qu’il y a tant de différence, selon les lois, entre tuer et se défendre, que, dans les mêmes occasions où la défense est permise, le meurtre est défendu quand on n’est point en péril de mort. Ecoutez-le, mes Pères, dans Cujas, au même lieu : Il est permis de repousser celui qui vient pour s’emparer de notre possession, MAIS IL N’EST PAS PERMIS DE LE TUER. Et encore : Si quelqu’un vient pour nous frapper, et non pas pour nous tuer, il est bien permis de le repousser, MAIS IL N’EST PAS PERMIS DE LE TUER.

Qui vous a donc donné le pouvoir de dire, comme font Molina, Reginaldus, Filiutius, Escobar, Lessius et les autres : Il est permis de tuer celui qui vient pour nous frapper ? Et ailleurs : Il est permis de tuer celui qui veut nous faire un affront, selon l’avis de tous les casuistes, ex sententia omnium, comme dit Lessius, n. 74 ? Par quelle autorité, vous qui n’êtes que des particuliers, donnez-vous ce pouvoir de tuer aux particuliers et aux religieux mêmes ? Et comment osez-vous usurper ce droit de vie et de mort qui n’appartient essentiellement qu’à Dieu, et qui est la plus glorieuse marque de la puissance souveraine ? C’est sur cela qu’il fallait répondre ; et vous pensez y avoir satisfait en disant simplement dans votre 13. imposture, que la valeur pour laquelle Molina permet de tuer un voleur qui s’enfuit sans nous faire aucune violence n’est pas aussi petite que j’ai dit, et qu’il faut qu’elle soit plus grande que six ducats. Que cela est faible, mes Pères ! Où voulez-vous la déterminer ? A quinze ou seize ducats ? Je ne vous en ferai pas moins de reproches. Au moins vous ne sauriez dire qu’elle passe la valeur d’un cheval ; car Lessius, l. 2, c. 9, n. 74, décide nettement qu’il est permis de tuer un voleur qui s’enfuit avec notre cheval. Mais je vous dis de plus que, selon Molina, cette valeur est déterminée à six ducats, comme je l’ai rapporté : et si vous n’en voulez pas demeurer d’accord, prenons un arbitre que vous ne puissiez refuser. Je choisis donc pour cela votre Père Reginaldus, qui, expliquant ce même lieu de Molina, l. 21, n. 68, déclare que Molina y DETERMINE la valeur pour laquelle il n’est pas permis de tuer, à trois, ou quatre, ou cinq ducats. Et ainsi, mes Pères, je n’aurai pas seulement Molina, mais encore Reginaldus.

Il ne me sera pas moins facile de réfuter votre 14. imposture touchant la permission