Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, de la part de ce peuple, tout ne fut qu’héroïsme, nobles Instincts, générosité ignorante et aveugle.

Aux dernières lueurs du jour, un homme parut sur le quai de l’École, tenant à la main ce drapeau tricolore qu’on n’avait pas vu pendant quinze ans. Aucun cri ne fut poussé, aucun mouvement ne se fit dans la foule rangée le long des parapets du fleuve. Étonnée, silencieuse, et comme recueillie dans ses souvenirs, elle regarda passer, en le suivant longtemps des yeux, cet étendard, évocation inattendue de glorieux fantômes. Quelques vieillards se découvrirent, d’autres versaient des pleurs : tout visage avait pâli.

Pendant ce temps, voici ce qui se passait à l’École polytechnique, destinée à un rôle si glorieux. Un élève, qui s’était vu chassé de l’École pour avoir chanté la Marseillaise dans un banquet cinq mois trop tôt, M. Charras, écrivit à un de ses camarades que, selon toute apparence, on en viendrait aux mains, et qu’il fallait pousser au mouvement. Il lui faisait passer en même temps les journaux qui avaient paru dans la matinée. Les simples élèves n’avaient pu sortir en ville, les jours de sortie étant le mercredi et samedi de chaque semaine ; mais les élèves gradés, les sergents et les sergents-majors, qui jouissaient du privilège de sortir tous les jours, de deux à cinq heures, allèrent parcourir Paris, et, en rentrant, ils racontèrent que la troupe avait chargé, qu’il y avait eu des victimes, que tout semblait se préparer pour une lutte sérieuse. Vers six heures, en effet, les élève entendent distinctement le bruit des feux de peloton exécutés de l’autre côté de la