Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pauvre, haletant et prêt à défaillir, le pauvre n’acceptait que le nécessaire et courait rendre, jusque sous les balles, le reste de la pièce d’or qu’il avait reçue dans ces jours de brûlante et passagère fraternité. Souvent il se mêlait à ce désintéressement glorieux une poésie,telle que peuvent seuls la comprendre de nobles cœurs battant sous des haillons. Quelques ouvriers défendaient une barricade élevée dans la rue Saint-Joseph. Un bourgeois, qui combattait à leur côté, vit l’un d’eux s’appuyer languissamment contre les pierres de la barricade. Il le crut blessé ; car la chemise du jeune homme était ensanglantée, et son visage couvert d’une pâleur mortelle. Le bourgeois se penche sur lui ; mais l’ouvrier, d’une voix faible : « J’ai faim. » Une pièce de cinq francs lui est offerte. Alors, glissant sa main sous sa chemise sanglante, il tire de son sein un lambeau d’étendard royaliste, et dit à celui qui l’avait assisté : « Prenez, Monsieur : voici ce que je vous donne en échange. »

Et au milieu de tant de scènes lugubres, que d’épisodes consolants ! Sur la place des Victoires, où campaient les troupes du général Wall, des femmes du peuple furent vues portant des cruches remplies d’eau et de vin, qu’elles présentaient aux lèvres altérées des soldats. En même temps, le général entrait en négociation avec M. Degousée pourie transport des blessés. On plaçait ces malheureux sur des charrettes, et c’était un chef d’insurgés qui, suivi de quatre fantassins, vêtu d’une blouse, un bonnet de police sur la tête et un fusil à la main, se chargeait de conduire à travers Paris en deuil ce convoi gé-