Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes qui, sachant son nom, l’auraient laissé mort sur la place.

L’Hôtel-de-Ville présentait alors le double aspect d’un club et d’un camp. Là se pressaient tous les audacieux ; là bivouaquait l’insurrection. A la vue de ces mâles figures, de ces corps robustes sous des habits en lambeaux, de ces fusils, de ces épées, de ces taches de sang, les trois gentilshommes tressaillirent. Quel langage tenir dans ce palais de légalité ? Ne faudrait-il pas se servir de ce mot citoyen, que 93 avait écrit dans son formidable vocabulaire. Ayant rencontré sur les marches de l’hôtel M. Armand Marrast qu’il ne connaissait point, M. de Sémonville lui dit avec hésitation : « Peut-on parler à M. de Lafayette… jeune homme !  » Il couvrait ainsi sous la dignité de son grand âge l’orgueil opiniâtre de son rang.

Les négociateurs furent accueillis avec bienveillance par la commission municipale, au sein de laquelle s’était rendu M. de Lafayette. Cette première tentative de conciliation entre la royauté et la bourgeoisie pouvait avoir des conséquences incalculables. Mais vouloir sauver le trône eût été hasardeux en un tel moment, surtout en un tel lieu. Car la multitude frémissait en bas, et demandait, pour prix du sang, non pas quelque chose de meilleur, mais quelque chose de nouveau.

Cependant, M. Baude ayant annoncé à la foule que Charles X consentait à retirer les ordonnances, un homme du peuple fit retentir ce cri, dont ceux qui l’entendirent ne parurent pas émus : « Vive notre bon roi qui capitule !  »