Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/173

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sombre génie de Rosniecki par qui elle était dirigée, déploya des ressources inattendues. Tout fut inutile. De jeunes conspirateurs, arrêtés presqu’au hasard, furent en vain plongés dans les cachots des Carmes : ils surent y garder, au milieu des tortures, le secret de leurs compagnons. La fureur de Rosniecki était au comble ; les courtisans de Czarewicz, saisis d’effroi, sentaient bien que le glaive d’ennemis invisibles était levé sur eux. Seul, Constantin se montrait inaccessible à la défiance, par une bizarre dérogation aux habitudes de son despotisme soupçonneux.

Au reste, le grand-duc était un de ces êtres inexplicables, qui, déjouant l’observation, déconcertent également l’amour et la haine. Sa taille, admirablement dessinée d’ailleurs, était athlétique, sa figure effrayante ; et pourtant, de ses yeux, enfoncés sous de longs sourcils fauves, jaillissaient des éclairs de bienveillance qui en tempéraient l’expression sauvage. Féroce par humeur, sensible pas accès, il avait étonné les hommes en renonçant au trône des Czars pour épouser une jeune polonaise qu’il aimait, et dont il se mit à subir l’empire, soumis comme un enfant, respectueux comme un chevalier. Savant et lettré, il ne gardait que mépris aux gens de lettres et à la science, se servant de ses propres lumières pour les railler, et parlant du génie de l’Occident, dont il semblait posséder les trésors, tantôt avec la légèreté d’un grand seigneur, tantôt avec le dédain brutal d’un barbare. Aussi se plaisait-il aux exercices militaires, aux manœuvres des camps, aux scènes de corps de garde ; et, quoiqu’il s’emportât quelquefois jusqu’à frapper des officiers, jusqu’à leur