Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/257

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pour la majesté du Czar, il continuait à se considérer comme son lieutenant, et c’était dans la crainte de rendre les négociations impossibles qu’il retardait l’organisation de l’armée. Les chauds patriotes murmuraient de cette obstination à temporiser, et la popularité du dictateur en souffrait. Il multiplia ses ennemis en faisant arrêter momentanément le républicain Lelewel et en refusant de sanctionner la rédaction du manifeste polonais. Ce manifeste, depuis si fameux, était pourtant rédigé avec beaucoup de dignité et de modération. Les droits et les malheurs de la Pologne y étaient exposés sur un ton de tristesse magnanime dont tous les peuples de l’Europe furent touchés. Mais le dictateur était une âme sans · poésie et un esprit sans portée. Il défendit l’impression du manifeste : on fut réduit à le lithographier clandestinement. Il se terminait par ces mots :

« Convaincus que notre liberté et notre indépendance, loin d’avoir jamais été hostiles vis-à-vis des états limitrophes, ont, au contraire, servi, dans tous les temps, d’équilibre et de bouclier à l’Europe, et peuvent lui être plus utiles que jamais, nous comparaissons devant les souverains et les nations, avec la certitude que la voix de la politique et de l’humanité se feront également entendre en notre faveur… Si la Providence a destiné cette terre à un asservissement perpétuel, et si, dans cette dernière lutte, la liberté de la Pologne doit succomber sous les ruines de ses villes et les cadavres de ses défenseurs, notre ennemi ne régnera que sur des déserts ; et tout bon Polonais emportera en mourant cette consolation qu’il a, du moins, par ce combat à mort, mis à couvert pour un moment la liberté de l’Europe menacée. »

Ce grand et mélancolique appel s’adressait particulièrement à la France. Tournée du côté de l’Oc-