Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/137

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dans le Collège, repoussaient les doctrines d’Enfantin, se sentaient transportés tout à coup au bord d’un abîme immense, qu’ils n’avaient pas soupçonné ; ils se demandaient avec terreur si leur vie jusque-là n’avait été qu’un rêve ; ils éprouvaient une douleur sans nom en se trouvant, pour jamais, peut-être, séparés de celui que, dans les élans d’une tendresse infinie, ils avaient si long-temps appelé leur père. Pour les autres, c’était un redoublement de ferveur inexprimable, une exaltation qui allait jusqu’au délire. Souvent, dans une salle dont les portes avaient été closes soigneusement et dont les murs étaient fidèles, les discussions durèrent des jours entiers, des nuits entières, sans interruption, sans distraction, sans repos. Il arriva quelquefois à des jeunes gens moins capables que leurs compagnons de résister à ces luttes dévorantes, de chanceler et de s’évanouir : On enlevait les corps sans que pour cela la discussion s’arrêtât. Un jour, M. Cazeaux eut une heure d’extase, et se mit à prophétiser. Un autre jour, M. Olinde Rodrigues fut comme frappé d’apoplexie, parce que, demandant à chacun des membres s’il n’était pas vrai que l’Esprit-Saint fut en lui Rodrigues, M. Reynaud ne lui avait répondu que par des paroles d’incrédulité ; la crise fut extrêmement violente, et le docteur Fuster, pour sauver le malade, dut recourir à une rétractation formelle de M. Reynaud, que cet accident avait rempli d’affliction et d’inquiétude. Telle est, même sur des hommes d’un esprit sérieux, d’une intelligence saine et élevée, le bizarre pouvoir des croyances, arrivées à un certain degré d’exaltation ; et l’on peut juger par la