Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/138

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singularité de ces phénomènes, de la puissance du mouvement que le saint-simonisme avait créé.

Quoique le secret des débats qui agitaient le Collége fût bien gardé, il était impossible que le reste de la famille n’en reçût pas indirectement l’impression. A la démarche affaissée des membres du Collége, à leur visage qui portait l’empreinte des longues insomnies, à leurs lèvres décolorées, au désordre de leur langage, au mystère dont ils s’entouraient, les membres du deuxième degré avaient compris qu’un drame terrible se jouait ; l’anxiété était devenue générale. Mais quel terme à ces divisions ?

On essaya d’une combinaison hiérarchique qui aurait empêché les deux chefs de se rencontrer à chaque instant sur le même terrain. A la division ternaire de la société en artistes, savants et industriels, correspondaient ces trois termes : religion ou direction des sentiments, dogme ou enseignement de la science, culte ou gouvernement des intérêts matériels. Enfantin fut nommé chef de la religion ; Bazard, chef du dogme Olinde Rodrigues, chef du culte. Vaine tentative ! Le schisme était devenu inévitable.

Dans un entretien auquel peu d’adeptes assistèrent, Bazard et Enfantin se mesurèrent une dernière fois. La discussion fut brûlante. Les affections personnelles de Bazard donnaient pour lui à cette lutte quelque chose de déchirant. Il sentait bien qu’il y allait de tout son bonheur. Il se débattit longtemps avec angoisse contre un homme qui l’accablait de son calme impitoyable. Enfin, vaincu, ne sachant plus où se fixer entre l’erreur qui voulait s’imposer à lui et la vérité qui lui échappait, épuisé, déses-