Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/238

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qui échappe à toute vengeance, des ennemis vivants et saisissables. Puis, au milieu des groupes que la passion aveugle, se glissent ceux qui ont coutume de pousser au désordre parce qu’ils s’y plaisent, et ceux qui l’excitent pour en profiter. L’anxiété gagne de proche en proche : il n’est bientôt plus question dans Paris que d’empoisonnements et d’empoisonneurs.

Cette fable serait peut-être tombée d’elle-même, ou, du moins, elle ne serait pas devenue la source de tant d’assassinats, si, dans le but de satisfaire des haines politiques ou pour faire preuve de vigilance, le préfet de police, M. Gisquet, n’eût publié une circulaire dans laquelle on lisait ces mots d’une inconcevable imprudence : « Je suis informé que, pour accréditer d’atroces suppositions, des misérables ont conçu le projet de parcourir les cabarets et les étaux de bouchers, avec des fioles et paquets de poison, soit pour en jeter dans les fontaines ou les brocs, et sur la viande, soit même pour en faire le simulacre et se faire arrêter en flagrant délit par des complices qui, après les avoir signalés comme attachés à la police, favoriseraient leur évasion, et mettraient tout en œuvre pour démontrer la réalité de l’odieuse accusation portée contre l’autorité. »

Il n’en fallut pas davantage pour confirmer le peuple dans ses soupçons. Alors fut, pour un instant, soulevé le voile qui dérobe aux yeux du riche le fonds hideux de l’état social dont il veut jouir ; alors, au travers de cette société mise en mouvement dans toute son étendue, on put entre-