Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/355

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blement. Pour prouver que leurs idées sur la nature du mariage et l’émancipation des femmes n’étaient point le calcul d’un égoïsme voluptueux, ils s’étaient imposé la loi du célibat. Le matin et le soir ils nourrissaient leur esprit de la parole du Père, ou bien ils cherchaient dans la vie d’un des Saints du christianisme, lue en commun, des exemples, des encouragements, des préceptes. Des hymnes, dont l’un d’eux, M. Félicien David, avait composé la musique, servaient à exalter leurs âmes en charmant leurs travaux. A cinq heures, le cor annonçait le dîner. Alors les ouvriers disposaient leurs outils en faisceaux, rangeaient les brouettes autour de l’ellipse du jardin, et prenaient place après avoir chanté en chœur la prière d’avant le repas. Voilà ce que le public fut admis à contempler. Spectacles dont une nation moqueuse a bien pu ne remarquer que la singularité tour à tour emphatique et naïve, mais qui ne manquaient assurément ni de portée, ni de grandeur. Car, dans ces pratiques, toutes de circonstance, les apôtres de Ménilmontant allaient fort au-delà de leurs propres théories, et ils semaient autour d’eux, sans le savoir, des doctrines qui un jour devaient faire oublier les leurs !

Ce fut le 6 juin, au bruit du canon tiré de Saint-Méry. et non loin du sanglant théâtre d’où s’élevaient les cris des combattants, ce fut le 6 juin que, pour la première fois la famille saint-simonienne ouvrit les portes de sa retraite. A une heure et demie, elle était réunie en cercle devant la maison, et, en dehors d’un second cercle formé par ceux que les hôtes de Ménilmontant appelaient la