parcouraient la place d’un air inquiet. Jamais attente n’avait été plus solennelle. Les fenêtres étaient garnies de spectateurs. Comment allait finir cette lutte étrange ? Déjà le bruit courait, dans certains groupes, que M. Rodde ne paraîtrait pas, lorsque tout-à-coup, à deux heures précises, un grand mouvement se fit dans la foule, et l’on vit, au milieu du peuple ému, s’avancer un homme à la taille athlétique, à la démarche hautaine, au regard enflammé. Deux pistolets étaient dans la boîte que portait cet homme, et il avait le costume des crieurs publics une blouse amaranthe et un chapeau verni sur lequel on lisait ces mots Publications patriotiques. L’air fut ébranlé de mille cris : Vive le défenseur de la liberté ! Vive M. Rodde ! Respect à la loi ! Les chapeaux étaient levés en l’air ; les mouchoirs étaient agités aux fenêtres ; des gardes nationaux se pressaient autour de l’intrépide distributeur, prêts à le défendre ou à le venger. Mais le pouvoir avait eu peur de sa propre violence. La distribution se fit sans obstacle. Ayant de la sorte accompli sa promesse, M. Rodde voulut se retirer. Il l’essaya en vain. Entouré, entraîné, porté par la multitude, il dut chercher refuge dans la maison Lointier. Un instant après il paraissait sur le balcon et conjurait le peuple de se montrer, en cette circonstance, digne et capable de la liberté. A la nuit tombante, la foule avait disparu. Un calme profond régnait dans Paris et l’on n’entendait plus, sur la place de la Bourse et aux environs, que le pas mesuré des patrouilles vigilantes.
Mais à cette société où tout n’était que haine,