Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 4.djvu/286

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s’écria : « Républicain, c’est sur la place publique que je dois être fusillé. Vous ne m’égorgerez pas devant ma femme et mon fils ! » Déjà, en effet, pour le protéger, l’officier s’avançait, le cœur attendri et l’œil humide. Mais qu’aurait pu sa voix sur des hommes que leur fureur égarait ? Heureusement, on attendait de M. Baune des révélations importantes l’ordre de le garder prisonnier arriva, et l’on se contenta de le conduire à l’hôtel-de-ville, les soldats l’accablant d’injures, et lui leur opposant des paroles hautaines ou un froid dédain.

Le sang enivre, qui l’ignore ? et il n’est pas d’atrocités auxquelles ne se puissent porter des natures incultes, partout où s’élève la vapeur du sang. Il y en eut, dans cette journée du 10 avril, d’épouvantables exemples. Sur le pont Tilsitt, des grenadiers furent vus entraînant un prisonnier qu’ils avaient résolu de précipiter dans la Saône. Mais la victime avait saisi un des meurtriers par le corps et elle le tenait étroitement embrassé. Un coup part. Le malheureux roule sur le pavé. Alors, s’éloignant de quelques pas, tous les soldats font feu à la fois sur son agonie. Ils soulèvent ensuite le cadavre, le balancent, avec des rires affreux, au-dessus du parapet, et le lancent dans l’eau. Des baliveaux qui sortaient de la rivière accrochèrent le corps, et les grenadiers continuèrent à le cribler de balles, s’en servant comme d’une cible.

Ce ne fut pas, du reste, le crime de tous que cette exécrable férocité. Il y eut des points où, retenues prisonnières par les troupes qui bivouaquaient dans les rues, des femmes d’insurgés furent traitées non-