Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 4.djvu/89

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Pour ce qui est de ses amis, leur sollicitude éclata d’une manière touchante. M. Guillemot, rédacteur en chef du Commerce, avait émis l’idée d’une souscription : cette idée fut acceptée par le public avec une sorte d’enthousiasme ; des listes nombreuses remplirent les colonnes des feuilles publiques un comité se forma dans le sein de la Chambre pour

    dut s’y rendre. Il était nuit. M. Laffitte trouva le roi au moment de se coucher, sur deux matelas que supportait un canapé. Louis-Philippe reçut son ministre avec cette affectation de familiarité qui lui était ordinaire, et il le supplia si affectueusement d’accepter la garantie offerte, que M. Laffitte finit par y consentir. Les deux amis se séparèrent après s’être tendrement embrassés. Le lendemain tout était conclu : la Banque prêtait six millions à M. Laffitte, et le roi s’engageait comme caution envers la Banque. Le traité portait que la garantie, s’il devenait nécessaire de l’invoquer, se diviserait en cinq paiements annuels, dont les quatre premiers seraient de treize cent mille francs, et le dernier de huit cent mille. Du reste, le roi, dans tout ceci, ne sortait pas des bornes prescrites par la prudence ; car M. Laffitte avait remis à la Banque une masse de bonnes valeurs qui, réalisées, dépassaient de beaucoup les sommes qui constituaient l’emprunt. Quoi qu’il en soit, la première échéance étant venue, et la Banque s’étant adressée au roi, il paya trois cent mille francs, mais sur quatre cent mille qu’il devait à M. Laffitte pour la forge de la Bonneville. La Banque ne put obtenir davantage. Elle insista ; un procès eut lieu, et la liste civile soutint, par l’organe de M. Dupin, que la caution du roi étant pure et simple, la Banque devait commencer par discuter le débiteur principal. Ces conclusions étaient rigoureuses à l’égard de M. Laffitte, mais enfin elles étaient légales. La Banque perdit son procès et se vit amenée, par décisions judiciaire, à poursuivre M. Laffitte. Elle aurait voulu s’épargner un tel éclat ; et, comme les valeurs que M. Laffitte lui avait remises formaient à ses yeux une garantie à peu près sûre, elle proposa au roi de le décharger de sa caution de six millions, s’il consentait à la remplacer par une de deux millions seulement, laquelle ne portera pas intérêt et ne devait être invoquée qu’au bout de dix ans. Cette offre, qu’il était si peu dangereux d’accepter, fut néanmoins refusée formellement. La Banque revint à M. Laffitte : il lui était impossible de payer ; il mit son hôtel en vente ! Il est vrai que, deux ans après, un arrangement étant survenu entre la Banque, la maison Laffitte et le roi, celui-ci donna, pour se libérer de la garantie, une somme de douze cent mille francs. Mais M. Laffitte ne pouvait y voir, ni un don royal, ni un dédommagement des énormes sacrifices que lui avaient coûtés quelques mois de ministère.