Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/322

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ment M. Laffitte. Lui aussi, il avait cru autrefois aux merveilles tant vantées de l’amortissement ; mais,

    au pair, dans l’espace de trente-six ans ! Aussi le docteur Priée n’avait-il pas eu beaucoup de peine à séduire les esprits par la magie d’une semblable arithmétique. Mais, pour que ces beaux calculs n’eussent pas été une source de déceptions, il aurait fallu que, tandis qu’on amortissait d’une main, on n’eût pas été obligé d’emprunter de l’autre. Or, c’était justement là ce qui devait arriver en France.

    Voici à quoi se réduit ce mécanisme tant vanté :

    Une crise éclate. L’État est placé sous le coup de circonstances critiques. Il emprunte en rentes 5 pour 0/0. Pour chaque rente de 5 fr. qu’il émettra, il sera censé avoir reçu 100 fr. et se reconnaîtra débiteur de cette somme. En réalité, cependant, combien aura-t-il touché ? Pas plus de 52 fr., peut-être. Le reste sera tombé dans la bourse des banquiers entremetteurs de l’emprunt. Mais la crise se dissipe, la confiance renaît, le cours des rentes s’élève. Survient alors l’amortissement, qui rachète au prix de 82 ou 83 fr. les rentes pour lesquelles l’État n’en avait reçu que 52. Qu’imaginer de plus ruineux, de plus absurde qu’une pareille combinaison ? Or, il n’y a rien d’hypothétique dans ce que nous venons de dire nous n’avons fait que raconter l’histoire de 1817.

    Depuis 1816 jusqu’à la fin de 1823, le trésor a emprunté 1,792,183,139 fr., pendant qu’il employait à l’amortissement des rentes, 1,276,462,534 fr. Qu’on calcule tout ce qu’un tel mécanisme a dû coûter à l’État !

    En 1825, pourtant, on avait commencé à comprendre que suivre cette voie, c’était marcher vers un précipice, et que l’État pourrait bien se ruiner à force d’être dégrevé de la sorte. Une loi fut portée qui interdisait à l’amortissement la faculté de racheter au-dessus du pair, c’est-à-dire au-dessus de 100 fr. Les rentes 5 pour 0/0 étaient alors au-dessus du pair, ou, en d’autres termes, elles coûtaient à la Bourse plus de 100 fr. elles furent donc soustraites à l’action de l’amortissement. Le but du législateur était manifeste les rentes 5 pour 0/0 coûtaient trop cher, et il déclarait qu’il y aurait ruine à les racheter. Rien de mieux. Mais les rentes 3 pour 0/0 étaient alors à 81 fr., par conséquent au-dessous du pair et celles-là, il était permis à l’amortissement de les racheter. Or, là était la folie. Car une rente de 3 fr. qu’on ne se procure qu’au prix de 81 fr., coûte plus cher en réalité qu’une rente de 5 fr. qu’on obtient au prix de 110. Ainsi, par une inconséquence ridicule, la loi de 1825 défendait à l’amortissement de racheter les rentes qui coûtaient le moins, en lui laissant la faculté de racheter celles qui coûtaient le plus ! Et cela parce que les premières étaient au-dessus de cette limite de convention qu’on appelle le pair, et les secondes au-dessous !

    Aussi, qu’arriva-t-il ? Que tout l’effort de l’amortissement s’étant porté sur les rentes 3 pour 0/0, elles montèrent à un prix excessif, en vertu de la loi qui fait qu’une marchandise se vend d’autant plus cher qu’elle est