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il était emporté par le mouvement du monde. Les plus ardents champions de Rome furent les premiers à la lancer dans les périls. Ils étaient là, pressant de mille aiguillons le moine encore indécis, tantôt l’encourageant à l’orgueil par l’expression de leurs alarmes, tantôt l’appelant avec violence dans la dispute et l’irritant par l’outrage[1]. Lui, soit pour se défendre, soit pour attaquer à son tour, il étudiait les Pères de l’Église, il comparait les Écritures, il entassait les matériaux d’une érudition redoutable, il s’exerçait à plonger sans effroi dans la tradition de l’Église et ses profondeurs les plus obscures. Bientôt, il la dédaigna, et fut conduit à ne plus reconnaître d’autre autorité que l’Évangile et d’autre maître que le Christ.

Alors se présenta clairement à son esprit le sens révolutionnaire des paroles qui, à Erfurt, étaient sorties des abîmes de son cœur, et que, depuis, il avait cru entendre à Rome sur les marches de l’escalier de Pilate : si, comme l’avait dit saint Paul, le juste vivait par la foi, la foi était donc la grande condition du salut. Et si la foi était tout, si les œuvres n’étaient rien, le moine portant un cilice tombait au-dessous du laïque ayant la foi.

D’un autre côté, n’a point la foi qui veut : Dieu la donne ou la refuse. L’homme n’était donc pas libre. Or, s’il n’était pas libre d’agir, l’Église n’avait rien à lui prescrire. S’il dépendait de Dieu seul, il n’avait à courber le front devant aucun visage humain ; et, confondus dans une même dépendance vis-à-vis du Christ, le dernier des fidèles et le pape devenaient égaux : pourquoi un pape ?

Telles furent les primitives données du protestantisme. Et quant à ses conséquences, ne les pressentez-vous point déjà ? Ce pape qu’il s’agit de renverser, c’est un roi spirituel, mais enfin c’est un roi. Celui-là par terre, les autres suivraient. Car c’en est fait du prin-

  1. Sleidan, Hist. de la Réformation, t. I, p. 9. — « Plane ipsum edocuit (scriptum Prieriæ) hanc infamiam evitari non posse, nisi oppugnata Romani pontificis potestate. » Pallavicini, Hist. conc. Trid. pars I, lib. I, cap. VI.