Aller au contenu

Page:Blandy - L Oncle Philibert.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et non un soutien pour les gens peu aisés), vous devez vous féliciter maintenant d’avoir en Vittorio un fils de grand courage, qui vous aidera dans vos vieux jours.

— Ah ! monsieur Chardet, dit la veuve, puisque vous louez tant Vittorio, vous êtes bien libre de le garder chez vous. Je suis active, mes filles aussi, et il ne sera pas dit que la veuve de Jacques Sauviac n’est point capable de gagner son pain. »

Garder Vittorio, c’était la seconde fois que cette proposition était faite à Claude Chardet. Certes, de lui-même le maître des Ravières aurait eu le cœur assez généreux pour recueillir l’orphelin dans sa maison, si celui-ci y avait été abandonné ; mais le caractère impérieux de Claude Chardet ne supportait pas d’avoir l’air de céder à l’impulsion d’autrui. D’ailleurs, toutes les objections qu’il avait faites, quelques jours auparavant, à tante Catherine subsistaient dans son esprit. À quel titre garder Vittorio ? comme cultivateur attaché au domaine ? Mais, malgré son instruction assez courte, Claude Chardet sentait que l’intelligence de l’enfant était déjà trop ornée pour n’être pas supérieure à cet emploi. À titre de camarade de Paul ?… Mais c’était s’engager moralement à faire à l’orphelin une situation pécuniaire en rapport avec son éducation, sous peine de devenir un déclassé, et, de toutes les situations sociales, celle que le simple bon sens de Claude Chardet déplorait le plus, c’était la misérable position des êtres sortis de leur sphère naturelle, c’est-à-dire dont le savoir est supérieur à la fortune et qui n’ont aucun moyen pratique de subsister. Or, le maître des Ravières ne se croyait pas le droit de traiter un étranger sur le pied d’égalité avec ses petits-enfants. Sa générosité n’allait pas jusque-là. Il croyait même travailler au bonheur de Vittorio en refusant de s’engager à son égard, comme la veuve Sauviac l’y invitait.