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ALIÉNÉ, 56-62.

Sect. 2. — Du placement des aliénés dans les asiles publics ou privés.

56. Les aliénés peuvent être placés dans les asiles, soit par leurs familles (L., art. 8), soit par l’administration, qui intervient d’office lorsque la liberté laissée à l’aliéné pourrait compromettre l’ordre public ou la sûreté des personnes. (L., art. 18.)

57. Entre autres principes communs à ces deux modes de placement, nous devons tout d’abord rappeler qu’ils s’appliquent l’un et l’autre indistinctement aux personnes interdites ou non interdites.

Rendre la séquestration tout à fait indépendante de l’interdiction, telle a été, nous l’avons vu, l’un des principaux objets de la loi du 30 juin 1838. « Le placement dans un établissement d’aliénés, dit M. Vivien, dans son rapport du 18 mars 1837, est souvent nécessaire quand l’interdiction devrait n’être pas prononcée ; l’interdiction peut atteindre des aliénés dont la liberté personnelle n’offre aucun inconvénient ; l’interdiction a surtout en vue les intérêts matériels, la gestion des biens ; les mesures dirigées contre la personne se rattachent au traitement de la maladie, à la sûreté de l’aliéné, à celle de ses parents. En subordonnant exclusivement la question qui se rattache à ces mesures au jugement de l’interdiction, on s’expose à une confusion dangereuse. »

art. 1. — des placements faits par les familles ou volontaires.
§ 1. — Qui peut faire ce placement ?

58. C’était une grave question de savoir si la séquestration d’un aliéné pourrait avoir lieu sans une autorisation préalable donnée par l’autorité publique. Le projet de loi présenté par le Gouvernement à la Chambre des députés le 6 janvier 1837 exigeait cette autorisation ; mais la commission de la Chambre des députés, dont les appréciations furent partagées par les deux Chambres (rapport de M. Vivien du 18 mars 1837), repoussa cette règle comme dangereuse et comme inutile. Elle était dangereuse en ce que, par les lenteurs de l’instruction d’une demande en autorisation de placement, adressée au préfet, elle tendait à mettre un certain intervalle entre le placement et le moment où la folie se déclare : or, « un retard de quelques jours, les médecins l’affirmaient, peut aggraver le mal au point d’en rendre la guérison quelquefois impossible, toujours beaucoup plus difficile. » Elle était encore dangereuse, en ce qu’elle permettait aux personnes qui provoquent le placement de s’abriter derrière l’autorisation administrative intervenue sur leur demande, et d’échapper ainsi à toute responsabilité judiciaire de leurs réquisitions.

Enfin, elle était inutile car le certificat du médecin que doit produire celui qui fait effectuer un placement d’aliénés, la responsabilité qu’assume le directeur de l’asile, constituent déjà des garanties puissantes ; de plus, le préfet, le chef du parquet, grâce aux précautions que la loi a prises, ont l’œil toujours ouvert sur tout ce qui se passe dans les asiles[1] ; une détention arbitraire ne pourrait avoir une longue durée ; et la certitude d’une répression prompte et infaillible ôtera dès lors tout intérêt à tenter de l’accomplir.

59. La loi permet à toute personne d’opérer le placement d’un aliéné dans un asile. Elle n’exige ni la qualité de parent, ni même celle de voisin ou d’ami de l’aliéné.

§ 2. — Quelles formalités accompagnent le placement ?

60. La personne qui fait effectuer un placement dans un asile d’aliénés, doit écrire et signer une demande d’admission adressée et remise au directeur de l’asile. La loi a voulu que cette personne laissât ainsi un témoignage authentique de sa participation à la séquestration, qu’elle se plaçât elle-même dans l’impossibilité de contester jamais la responsabilité qui, dans le cas d’un placement fondé sur des motifs cupides et injustes, pèserait sur elle envers la société et envers les victimes de sa démarche.

Cette demande doit contenir les noms, profession, âge et domicile de l’aliéné et de la personne qui sollicite l’admission : elle doit indiquer le degré de parenté ou la nature des relations qui existent entre celle-ci et l’aliéné. (L., art. 8, 1o.)

Si la personne qui demande le placement ne sait pas écrire, sa demande sera reçue par le maire ou le commissaire de police, qui en dresseront un acte. (L., art. 8, 1o.)

Si la demande d’admission est formée par le tuteur d’un interdit, il devra joindre à sa demande un extrait du jugement d’interdiction : production qui a une grande utilité ; car l’état d’interdiction exerce, ainsi que nous le verrons, une notable influence sur les conditions et les formes dans lesquelles le placement pourra cesser. (L., art. 8, 1o.)

61. La personne qui sollicite l’admission doit produire en outre un « certificat de médecin constatant l’état mental de la personne à placer, indiquant les particularités de sa maladie et la nécessité de faire traiter la personne désignée dans un établissement d’aliénés et de l’y tenir renfermée ».

Le certificat ne peut émaner d’un médecin attaché à l’établissement, ni d’un médecin parent ou allié, au second degré inclusivement, des chefs ou propriétaires de l’établissement, ou de la personne qui fait effectuer le placement.

De plus, ce certificat ne peut être admis s’il a été délivré plus de quinze jours avant la remise au directeur, s’il se rapporte dès lors à des faits qui ont eu le temps de disparaître ou de se modifier de la manière la plus profonde.

D’après le projet adopté par la Chambre des députés, la production d’un certificat de médecin n’était exigée que lorsqu’un aliéné était conduit dans un établissement privé ; ce fut la Chambre des pairs (rapport de M. Barthélemy du 29 juin 1837) qui étendit cette règle même aux établissements publics : elle n’admit au profit des directeurs de ces derniers asiles qu’un seul privilége, qui a été maintenu dans la loi, celui de pouvoir, dans les cas d’urgence, se dispenser d’exiger la production du certificat.

62. Indépendamment de la demande d’admission et du certificat de médecin, la personne qui fait effectuer le placement « doit encore produire le passe-port ou toute autre pièce propre à constater l’individualité de la personne à placer ».

  1. Ce point a été contesté et l’on demande des dispositions législatives qui assurent la réalité des visites prescrites par la loi de 1838. M. B.