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Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/555

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CONFLIT, 41-46

dans lesquels les juges de paix prononcent sans appel sont trop Minimes pour que le Gouvernement ait un intérêt réel à en attirer d lu% la connaissance. Cette intention leur a, d’ailleurs, paru être clairement indiquée par le système tout entier de l’ordonnance et par les formes de procéder qu’elle a établies car elle suppose et exige l’intervention du ministère publie, et, comme il n’existe pas de fonctionnaire de cet ordre devant les jugés de paix, du moins en matière civile, ils ont pensé que l’interdiction d’élever le conflit devant cette juridiction était, par là même, suffisamment constatée.

Toutefois des doutes se sont élevés, surtout en ce qui concerne le juge de paix statuant comme juge de simple police. Devant cette juridiction, en effet, il existe un ministère public ; le commissaire de police chargé de ces fonctions (C. d’I. C., art. 144) pourrait donc remplir les formalités prescrites par les art. 6 et suivants de l’ordonnance de 1828. De plus, a-t-on dit, cette même ordonnance n’a pas formellement défendu d’élever le conflit en cette matière, comme elle l’a fait en matière criminelle ; elle n’a pas réglé le droit de l’élever, comme en matière correctionnelle donc ce droit, qui subsiste par lui-même là où il n’estpas modifié ou supprimé, peut être exercé devant les tribunaux de simple police.

Telle n’a pas été cependant l’opinion du Conseil d’État. Une première décision, du 3 décembre 1828, a annulé un conflit élevé dans une affaire de simple police, et la même solution a été ultérieurement reproduite par une autre décision du 16 juillet 1846 en ces termes :

Considérant que, d’après l’ordonnance royale du 1er juin 1828, le conflit ne peut être élevé devant les tribunaux de simple police. »

Devant les juges de paix statuant comme juges civils, la question était moins susceptible de controverse elle a été résolue dans le même sens les 11 janvier 1829, 28 mai 1829, 12 janvier 1835, etc.

41. Quant aux tribunaux de commerce, une décision du 29 mars 1832, se fondant aussi sur ce qu’il n’existe pas de ministère public près ces tribunaux, a également décidé que le conflit ne peut pas être élevé devant eux. Il faut toutefois remarquer, avec M. Bodiatignieb. (p. 466) que cette décision s’appliquerait seulement aux tribunaux de commerce et non aux matières commerciales en général si donc une instance commerciale était portée devant un tribunal civil jugeant commercialement, et si cette instance soulevait des questions administratives, le conflit serait très-régulièrement élevé dès le 1er degré de juridiction.

42. Cette jurisprudence est évidemmentconforme à l’esprit de l’ordonnance de 1828, dont le système n’a d’ailleurs pas, à cet égard, d’inconvénients bien sérieux, au point de vue purement administratif. En effet, les jugements. des tribunaux de commerce et ceux des juges de paix considérés comme juges civils sont toujours susceptibles d’appel quant à la compétence le conflit peut donc, s’il y a lieu, être élevé en appel. Cette voie de recours n’est pas, il est vrai, aussi facilement ouverte en matière de simple police (voy. l’art. 172 du Code d’inst. criin.)- mais il ne faut pas oublier que la répression pénale des faits illicites, même de simple police, n’appartient point, en thèse générale, à l’administration, et que, dans les cas exceptionnels où il en est autrement, le recours à la Cour de cassation fournirait un moyen suffisant de rétablir, au besoin, l’ordre des compétences.

43. Cependant, si l’inconvénient est peu sensible sous ce rapport, il est plus grave à un autre point de vue car, lorsque le conflit sera élevé et confirmé sur l’appel d’un jugement de juge de paix ou de tribunal de commerce, les frais exposés devant le premier degré de juridiction auront été faits en pure perte la condition des parties en sera donc aggravée. D’ailleurs, si la revendication est fondée, quelle raison a-t-on d’empêcher qu’elle soit immédiatement exercée ? On comprend l’interdiction absolue d’élever le conflit dans certaines matières déterminées mais, dans les matières où il est possible, tous les intérêts ne se réunissentils pas pour demander qu’il soit élevé, s’il y a lieu, dès l’origine du litige, plutôt que de faire parcourir inutilement à l’affaire une première phase, au détriment de la justice et des justiciables ?

Ces considérations avaient paru décisives aux rédacteurs du projet de loi de 1836 l’art. 3 de ce projet disposait que le déclinatoire serait adressé au président du tribunal, dans les instances pendantes devant les tribunaux de commerce, ou au juge de paix, si ce magistrat était saisi de l’affaire, et l’art. 18 du même projet permettait également d’élever le conflit en matière de simple police, sous les mêmes conditions qu’en matière correctionnelle.

44. Quant aux jurys d’expropriation pour cause d’utilité publique et aux conseils de prud’hommes, les motifs sur lesquels le Conseil d’État s’est fondé pour proscrire le conflit devant les juges de paix et devant les tribunaux de commerce devraient entraîner, pour ces juridictions spéciales, la même solution car elles n’ont pas non plus un ministère public[1].

45. Il existe, à la vérité, un ministère public, près les conseils de guerre et les tribunaux maritimes mais ces juridictions ne connaissent que de crimes ou de délits, et dès lors il y aurait lieu de leur appliquer les articles 1er et 2 de l’ordonnance de 1828, si, ce qui est peu probable, la question venait à se présenter.

46. En ce qui touche la Cour de cassation, la question a donné lieu à de vives controverses et à de fréquentes variations dans la jurisprudence avant 1828. Nous ne retracerons point ici cette histoire désormais ancienne nous dirons seulement que l’art. 4 de l’ordonnance de 1828, en interdisant le conflit après les jugements rendus en dernier ressort et après les arrêts définitifs, a entendu interdire le conflit et l’a très-clairement interdit devant la Cour de cassation. En effet, un jugement déféré à cette Cour n’en est pas moins en dernier ressort ; un arrêt qui lui est déféré n’en est pas moins définitif ; c’est même l’une des con-

  1. Ce point a été cependant contesté, quant aux jurys d’expropriation, par M. Seksisnt (2e édit., t. Ier, no 174) mais l’opinion contraire nous paratt préférable, et elle est adoptée par la plupart des auteurs, notamment par MM. Boulatignier (p. 466) Daustb, De la Justice administrative, p. 215 ¡ A’coc, Confirmât lur l’administration, t. 1", p. 549, etc.