nérale, et malgré le silence de l’ordonnance de 1828, l’affirmative nous parait incontestable : il y a là tout au moins un devoir de convenance ; il y aurait même une obligation légale, si l’on prenait à la lettre les termes d’une décision du 23 février 1820, qui porte que l’effet d’un conflit est de suspendre toute action de l’autorité administrative ou judiciaire sur l’affaire en litige. Cependant cette même décision a reconnu que le préfet avait pu, même après avoir élevé le conflit et avant que ce conflit fût vidé, prendre une mesure provisoire et d’urgence que l’intérêt public lui paraissait exiger et qui ne préjugeait pas le fond. Le Conseil d’État a également reconnu (14 juin 1851) que le préfet avait pu, en même temps qu’il élevait le conflit, prendre un arrêté ayant pour objet d’arriver à la délimitation du domaine public sur le point litigieux : cet arrêté a été considéré comme ne préjugeant pas la question de propriété qui restait à juger.
134. On comprend, du reste, que ce pouvoir, nécessaire dans certains cas, ne pourrait avoir pour effet de créer, après coup, des arguments à l’appui du conflit. C’est ainsi que le Tribunal des conflits (22 mai 1850) a déclaré qu’un arrêté par lequel un préfet, en même temps qu’il élevait le conflit, avait incorporé au domaine public, un étang dont la propriété était débattue entre l’État et la commune, n’était pas de nature, quelle que pût être sa valeur, à faire obstacle à la compétence, d’ailleurs constante, de l’autorité judiciaire.
Il ne saurait non plus appartenir au préfet d’adresser des injonctions quelconques à l’autorité judiciaire, et, par exemple, d’ordonner que le tribunal surseoira à toute procédure (14 mai 1828, 27 août 1833, 14 nov. 1833), ou de déclarer que l’autorité judiciaire est dessaisie du litige sur lequel le conflit est élevé (17 août 1836) ; il n’aurait même pas le droit d’ordonner l’exécution provisoire du jugement qui a donné lieu au conflit. (23 févr. 1820.)
ART. 1. CARACTÈRE DU CONFLIT UNE FOIS CONSTITUÉ.
135. Le conflit, une fois constitué, c’est-à-dire à partir de la communication qui en est donnée à l’autorité judiciaire par le dépôt au greffe, cesse d’appartenir au préfet qui l’a élevé : ce n’est pas là un de ces actes administratifs que l’administrateur mieux informé peut toujours rétracter ou modifier tant qu’ils n’ont pas conféré des droits aux tiers ; c’est un acte sui generis et d’une nature trop grave pour qu’il ne doive pas, dès le jour où il est accompli, tomber et demeurer dans la compétence exclusive et souveraine du juge suprême des conflits.
Le préfet ne peut, par suite, rapporter le conflit qu’il a élevé (7 avril 1824). Il ne peut pas davantage prendre un nouvel arrêté de conflit pour confirmer le premier, alors même que le tribunal, sur la communication de celui-ci, aurait refusé de surseoir (29 mars 1831). Toutefois, dans deux autres espèces analogues à celle qui vient d’être citée, le Conseil d’État s’est contenté d’annuler le second arrêté comme inutile ou de le déclarer non avenu à ce même titre. (25 avril 1828, 15 déc. 1842.)
136. L’art. 13 de l’ordonnance de 1828 offre aux parties un moyen de présenter leurs observations sur la question qu’il s’agit de décider ; mais il importe de se fixer sur le caractère de la faculté qui leur est ouverte par cet article.
Dans le principe, et quoique les formes de procéder établies pour les affaires contentieuses par le règlement du 22 juillet 1806 fussent généralement appliquées aux conflits, le Conseil d’État avait reconnu que les conflits n’étaient pas des affaires contentieuses, et qu’ils ne comportaient pas un droit d’action ou d’intervention proprement dit de la part des parties (11 janv. 1808, 24 avril 1808). Mais cette jurisprudence, implicitement abandonnée dès 1810 (22 nov. 1810), fut explicitement changée par une décision du 4 novembre 1811, et ce changement fut confirmé par l’avis suivant du Conseil d’État, en date du 19 janvier 1813, approuvé le, 22 ;
« Le Conseil d’État, qui, d’après le renvoi ordonné par Sa Majesté, a entendu le rapport de la section de législation sur celui du ministre de l’intérieur, ayant pour objet de faire statuer sur un conflit d’attributions entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire, élevé par le préfet du département des Bouches-de-l’Escaut, etc. ;
« Vu le décret du 22 juillet 1806, contenant règlement sur les affaires contentieuses portées au Conseil d’État ;
« Considérant que les conflits d’attributions entrent dans le contentieux administratif, dont l’examen et l’instruction sont confiés à la commission du contentieux avant d’être portés au Conseil d’État ;
« Est d’avis que les conflits entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire doivent être renvoyés à la commission du contentieux, pour y être instruits conformément au règlement. »
Cette règle a été suivie sans contestation jusqu’à 1821. Mais, à cette époque, un débat spécial provoqua un nouvel examen de la doctrine sur laquelle elle reposait. L’administration de l’enregistrement ayant exigé d’une partie, qui avait présenté des observations sur un conflit, le paiement des droits d’enregistrement établis sur les jugements et arrêts par l’art. 47 de la loi du 28 avril 1816, le ministre des finances crut devoir, sur la réclamation de cette partie, en référer au ministre de la justice, qui à son tour soumit la question aux comités réunis de législation et du contentieux. L’avis de ces comités[1], que nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici, à cause de son étendue, a rétabli les vrais principes de la matière avec une remarquable netteté il se termine ainsi :
« Sont d’avis que les ordonnances rendues en matière de conflits sont des actes de haute administration, qu’elles conservent ce caractère alors
- ↑ Cet avis a été délibéré au rapport de M. le baron Zangiaconi, conseiller d’État, et sons la présidence de M. le comte Portalis, alors sous-secrétaire d’État au département de la justice. La minute déposée aux archives du Conseil d’État constatait (nous l’avons consultée avant leur destruction) qu’il a été adopté le 18 janvier 1821. Il a été publié par Sirey (21, 2, 89), avec l’indication de sa véritable date ; mais M. Duvergier, en le publiant également dans la 2e édition de sa collection des lois, lui a donné la date du 6 février 1821.