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1164 JURIDICTION ADMIN., 12, 13. JURIDICTION ADMïN., i4-it. et se développer, étendre par des dispositions plus spéciales et mieux définies les principes essentiels déposés dans les lois el la Constitution, afin d’en obtenir partout la stricte exécution, telle est, nous l’avons déjà dit, la mission de l administration. Pour atteindre ce but, à chaque degré de la hiérarchie administrative sont placés des agents, entourés eux-mêmes de conseils qui préparent et facilitent leurs décisions siins les entraver jamais, de telle sorte qu’il n’est pas un acte de pouvoir chargé de l’action administrative qui n’offre toutes les garanties d’une longue et mûre délibération.

Mais ces garantes même exigent que les mesures prises soient exécutées sans qu’une autorité autre que l’administration elle-même statue sur la justesse et l’opportunité d’une résistance. Qu’un tribunal, indépendant par sa nature, par l’inamovibilité de ses membres, soumis à des influences de tradition et de corporation, puisse arrêter un seul instant, sur un seul point du pays, l’action gouvernementale, l’ensemble des services administratifs sera désorganisé. « La franco, a dit M. de Cormemn, est, de tons les Etats de l’Europe. celui qui peut, avec le plus de vitesse, d’adhérence et de certitude, transporter sur un point donné le plus d’hommes, d argent et de moyens de combat. Au même instant, le Gouvernement veut, le ministre ordonne, le préfet transmet, le maire exécute, les régiments s’ébranlent, les flottes s’avancent, le tocsin sonne, le canon gronde, et la France est debout ! » Que deviendra cette puissante centralisation, si, au moment où il faudra agir, un pouvoir souverain et étranger à l’administration délibère et statue avec plénitude de juridiction ?

. D’un autre côté, les lois ont corrigé ce que les attributions conférées aux agents administratifs pouvaient avoir d’exorbitant, en laissant à chacun deux la responsabilité de ses actes. Or, cette responsabilité ne saura être réelle et efficace que si l’administration est indépendante. Car, sans liberté d’action, l’action administrative ne se conçoit plus.

. Disons-le donc hardiment le pouvoir d’administrercomporte logiquement le pouvoir déjuger

administrativement. Et nous pouvons jusqu’à un certain point caractériser le pouvoir du Gouvernement pourvoyant à l’exécution des lois, par ces paroles, qu’ULPiEs appliquait au magistrat romain : Mixtum imperivm cui jur/sdiclioinest{D. L, 3, de Jurisdictione). Sans doute, la justice administrative n’offre pas un ensemble aussi imposant et aussi complet que la justice ordinaire. Formée à des époques différentes, elle porte l’empreinte reconnaissable des temps au milieu desquels elle a été organisée. Soumis à linfluence inévitable des passions politiques, les législateurs ont souvent méconnu- des principes essentiels ; ils ont souvent fait supporter à l’ordre judiciaire ou à l’ordre administratif les conséquences qui n’atteignent d’ordinaire que les partis vaincus. Ce que le Chef de l’État et le Conseil d’État de 1804 ont fait pour les droits privés, aucun homme, aucun Gouvernement ne l’a encore tenté pour le droit administratif. Espérons cependant qu’il viendra une époque où il sera possible d’en poser avec unité et concordance les principes généraux. Espérons, non pas qu’on fera un recueil des quatre-vingt mille textes des lois ou décrets qui nous régissent aujourd’hui, mais qu’on en extraira un système de dispositions qui assureront, sur tous les points essentiels et fondamentaux, des règles aussi simples, aussi uniformes, aussi incontestées que celles du Code civil, la seule chose peut-être qui soit restée intacte et respectée au milieu des révolutions qui ont bouleversé la France.

. Quoi qu’il en soit, les principes que nous venons d’établir étaient ceux de l’Assemblée constituante, lorsqu’elle entreprit son oeuvre de régénération. Ce furent ceux de tous les gouvernements qui se sont succédé, et par une série d’améliorations nous sommes arrivés à l’état légal qui nous régit aujourd’hui, état imparfait sans doute, mais qui est bien loin d’offrir tous les inconvénients qu’on lui a reprochés. Était-il, du reste, nous ne dirons pas facile, mais possible, de fonder du premier coup un système irréprochable, alors que le législateur n’avait plus pour se guider l’ancien droit romain ou le droit coutumicr qu’il s’agissait seulement d’ajuster aux institutions nouvelles ? Le progrès s’est accompli lentement, et sa marche ne deviendra réellement rapide que lorsque la science administrative sera étudiée et comprise comme la science du droit pénal et du droit privé.

. On a souvent répété que l’autorité judiciaire et l’autorité administrative étaient confondues en France avant 1789. C’est une erreur. Les fonctionnaires et les tribunaux étaient nombreux, trop nombreux peut-être. La Chambre des comptes, la Cour des aides, les Greniers à sel, la Table de marbre, la Juridiction des élections, les Traites foraines, etc., distribuaient la justice aux administrés. Mais l’autorité judiciaire ne respectaitpas toujours des limites qui, du reste, n’étaient posées exactement nulle part.

. En 1790, le comité chargé de préparer le projet de loi sur l’organisation judiciaire, réclama dans chaque département un tribunal d’administration qui jugerait, d’après des formes précises et des lois déterminées, les affaires contentieuses qui peuvent s’élever à t occasion de 1 impôt ou relativement à l’administration. Des vues d’économie, la crainte de multiplier à l’infini le nombre des procès en augmentant celui des juges, desappréhensions excitées par un ordre de choses antérieur, empêchèrent l’Assemblée de donner suite à ce projet. Mais la loi du 1G-24 août t 790 posa en ces termes le principe de la séparation entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative : Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. » {TU. Il, art. 13.)

. Mais en attendant une loi d’organisation définitive, il fallait cependant donner des juges aux parties. Les lois du 10-15 juin 1791, des 6, 7 et 1 t septembre 1791, confièrent aux administrations départementales nouvellement établies la connaissance en premier ou en dernier ressort