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Page:Block - Dictionnaire général de la politique, tome 2.djvu/58

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Les arrêts de justice sont des actes de conscience et non de discipline ; le juge, une fois investi par sa nomination de la conflance de ses concitoyens ou du prince, doit être complétement libre et indépendant dans ses appréciations, et son inamovibilité est la conséquence forcée de cette position. Tant qu’on n’a pas jugé qu’il a forfait à l’honneur ou au devoir, sa position ne saurait être menacée, il ne saurait être molesté à raison d’actes auxquels le respect de tous doit être assuré dès que les recours légaux sont épuisés.

« Lorsque le pouvoir, dit Royer-CoDard, chargé d’instituer le juge au nom de la Société, appelle nn citoyen à cette fonction éminente, il lui dit Organe de la loi, soyez impassible comme elle ! Toutes les passions frémiront autour de Tous, qu’elles ne troublent jamais votre âme Si mes propres erreurs, si les influences qui m’assiégent, et dont il est si malaisé de se garantir entièrement, m’arrachent des commandements injustes, désobéissez à ces commandements, résistez à mes séductions, résistez à mes menaces. Quand vous monterez au tribunal, qu’au fond de votre cœur il ne reste ni une crainte, ni une espérance. Soyez impassible comme la loi 1

« Le citoyen répond Je ne suis qu’un homme, et ce que vous me demandez est audessus de l’humanité. Vous êtes trop fort et je suis trop faible. Je succomberai dans cette lutte inégale. Vous méconnaîtrez les motifs de la résistance que vous me prescrivez aujourd’hui, et vous la punirez. Je ne pais m’élever audessus de moi-même, si vous ne me protégez à la fois et contre moi et contre vous. Secourez loue ma faiblesse, affranchissez-moi de la crainte et de l’espérance, promettez-moi que je ne descendrai pas dn tribunal, à moins que je ne sois convaincu d’avoir trahi les devoirs que vous m’imposez.

Le pouvoir hésite ; c’est la nature du pouvoir de se dessaisir lentement de sa volonté. Éclairé enfln par l’expérience sur ses véritables intérêts, subjugué par la force toujours croissante des choses, il dit au juge Vous serez inamovible. ·

Si le principe, la règle de la séparation des pouvoirs, la nature des attributions des juges, l’obligation pour eux de se soumettre à des lois formelles et impéra’ives, de suivre des formes tntélaires à peine de nullité de leurs décisions, le mode de fonctionnement des corps judiciaires, plaident en faveur de l’inamovibilité du juge, l’histoire et l’expérience prouvent combien cette inamovibitité est précieuse pour les Citoyens. Les juridictions exceptionnelles et transitoires, les commissions extraordinaires nous ont appris que des tribunaux sagement indépendants peuvent seuls protéger la liberté et la propriété contre les exigences injustes dn despotisme et les égarements de la multitude. On a fait à l’encontre de cette garantie des objections qui sont plus dn domaine spéculatif que du domaine pratique.

Le magistrat, longtemps en charge, ne s’y perpétuera qu’an préjudice de ses coneitcYens, il se dépravera dans un long exercice du pouvoir, il est bon qu’il redescende fréquemment chez le peuple où il pourra se retremper et s’épurer. L’expérience nous prouve que les fonctions judiciaires n’échappent pas à cette loi commune, qui fait que le fonctionnaire n’est an contraire jamais plus apte à remplir ses fonctions que lorsque des études prolongées et une longue pratique ont développé cette aptitude. L’exercice du pouvoir judiciaire, la recherche de la justice, l’application du droit ne sont pas de nature à dépraver le citoyen, et il s’épure bien plus en restant dans les régions où le placent ses fonctions de judicature qu’en les quittant pour se porter dans un tout autre milieu.

Lorsque les fonctions judiciaires étaient mêlées au pouvoir administratif, l’inamovibilité pouvait menacer les libertés publiques ; mais en l’état de l’organisation judiciaire actuelle, cette crainte n’est-elte pas chimérique ? Au surplus, dit-on, l’inamovibilité ne donne pas nécessairement l’indépendance ; le désir d’avancer, chez le juge, remplace la crainte de perdre. Cela fût-il toujours exact, l’inamovibilité n’en serait pas moins une garantie incomplète qu’il serait utile de conserver comme contribuant dans une certaine mesure à l’indépendance du juge et de ses décisions, si elle ne l’assurait pas entièrement ; et je ne pense pas que cette indépendance eût beaucoup à gagner à la suppression de cette garantie. On ajoute qu’elle n’a pas toujours existé en France ; mais les abus qui se sont manifestés avant qu’elle ne fût consacrée, on lorsqu’elle a momentanément cessé d’exister, en ont précisément fait sentir les avantages. On se prévaut ensuite de l’exemple des arbitres, des tribunaux de commerce, des jurés. Les arbitres mais y a-t-il en France une justice plus lente, plus incertaine que celle des arbitres, et n’a-t-on pas été obligé de supprimer l’arbitrage forcé ? Les tribunaux de commerce mais si, pour des matières spéciales et dans certaines localités, des tribunaux spéciaux ont été institués pour statuer sur des questions où les usages doi -*ent être pris en grande considération, il est à remarquer que la France est à peu près le seul pays en Europe où ces tribunaux soient composés exclusivement de personnes étrangères à l’ordre judiciaire, et il faut ajouter que leurs décisions sont soumises aux tribunaux d’appel où l’élément judiciaire se rencontre seul, et que, outre l’esprit de justice qui anime les tribunaux consulaires, le contrôle des corps judiciaires’ supérieurs peut prévenir bien des erreurs, arrêter certaines tendances. Le jury criminel je ne veux pas examiner ici s’il n’y a pas quelque chose de fondé dans les attaques dont cette institution a été l’objet, mais la nature des attributions des jurés appelés à répondre à une simple question de fait en réservant à l’autorité judiciaire l’instruction, la direction des débats, la solution des questions de droit, l’application de la peine, ne permet pas d’assimilation possible entre le juré et le