Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/153

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tes ma patrie, en laquelle j’ay demeuré inconnu, vil et abject éternellement. J’ay dit, disait Job à la pourriture, vous estes mon père ; mais moy j’ay dit au rien, vous estes mon pays, je suis tiré de vostre abysme ténébreuse, et de vostre espouventable caverne. »

Cette provenance déplut à l’auteur de l’Éducation sentimentale et il se jura de devenir Prométhée pour dérober à l’Olympe des lexicologues le feu sacré de l’éloquence littéraire.

Pour parler sans mythologie, il se persuada que l’art de gaver les imaginations par les mots était identique à la fonction de paître les intelligences par la pensée et naturellement, il choisit les plus hauts sujets qu’il y ait au monde.

Le spectacle inouï fut alors donné par lui d’un pauvre homme courageux autant que tous les lions, mais acharné sur une idée imbécile, s’efforçant, vingt années, d’extraire de son intestin le ténia séditieux et inextirpable de l’Inspiration.

Assurément nul écrivain ne fut aussi héroïque. Il fut à la fois Œdipe et Sphinx et passa chiennement sa vie à se déchirer lui-même, avec des griffes et des crocs d’airain, pour se punir de ne jamais deviner le secret de son impuissance.

Mais il suffit à la génération qui grouille à ses pieds que ce lamentable colosse ait produit des phrases dont la trame, dit-on, met au défi tous les tisserands et tous les canuts littéraires.