Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/201

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En écrivant cette chose magnifique, je sais bien, parbleu ! qu’il pensait à lui. J’en ai déjà fait la remarque à propos d’une autre citation, et, bien souvent, il en fut ainsi. Un jour même, il sentit le besoin de se justifier et voici de quelle curieuse façon :

« L’Homme ne s’aime pas et cependant l’homme doit s’aimer beaucoup, car il doit aimer beaucoup son prochain et il doit aimer son prochain comme lui-même. »

Cette apologie, ridicule et même odieuse dans toute autre bouche, n’étonnait pas trop de cet incomparable naïf et produisait presque l’effet d’un aveu touchant.

On lui fit un crime atroce de s’indigner d’être obscur, mais il croyait avec raison qu’étant glorieux, il aurait mieux servi ses frères, qu’il aimait autant que lui-même. Si l’Espérance peut donner la résignation pour soi, l’Amour n’entend rien à la résignation pour les autres, et cet amoureux ne se résigna jamais. « L’ensemble de mon œuvre, me disait-il un jour, pourrait s’appeler le Cri du sang d’Abel. »

Le pauvre, tel qu’il le concevait, c’est celui qui a besoin, n’importe de quoi ; c’est l’homme de génie, c’est le héros, c’est l’étranger ; c’est celui qui a faim, c’est celui qui a soif c’est celui qui est nu ; c’est le cœur dilaté comme le cœur d’un Dieu et que le monde égorge spirituellement par l’indifférence, comme Caïn égorgea physiquement son frère par le couteau. Le nom de ce