Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/31

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affamé de pain. Ils seront en petit nombre, c’est bien possible. On les persécutera, c’est infiniment probable. Nomades éplorés du grand Rêve, ils vagueront comme des Caïns sur la face de la terre et seront peut-être forcés de compagnonner avec les fauves pour ne pas rester sans asile. Traqués ainsi que des incendiaires ou des empoisonneurs de fontaines, abhorrés des femmes aux yeux charnels, qui ne verront en eux que la guenille, invectivés par les enfants et les chiens, épaves affreuses de la Joie de soixante siècles roulées par le flot de toutes les boues de ce dernier âge, ils agoniseront à la fin, — aussi confortablement qu’il leur sera donné de le faire, — dans des excavations tellement fétides que les scolopendres et les scarabées de la mort n’oseront pas y visiter leurs cadavres !

Mais, quand même, ils subsisteront pour désespérer leurs bourreaux et, comme la nature est indestructible et inviolable, il pourrait très-bien arriver qu’un jour, — par l’occasion de quelque surprenant baiser du soleil ou l’influence climatérique d’un astre inconnu, — une exceptionnelle portée de ces vagabonds, inondant la terre, submergeât à jamais, dans des ondes de ravissement, cette avortonne société de sages fripouilles qui pensaient avoir exterminé l’aristocratie du genre humain !