Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/69

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éloignés de concevoir la densité de prodige que dégage leur surprenante création !

M. Eiffel qui ne se croit, sans doute, rien de plus qu’un excellent ouvrier et qui n’est vraisemblablement pas autre chose, a construit beaucoup de ponts de métal qu’on dit être des chefs-d’œuvre en leur genre, et maintenant, il construit Babel comme si c’était un autre pont, — vertical cette fois, — de la terre au ciel, et il lui confère son nom, sans savoir le moins du monde qu’il assume, peut-être, une évolution de l’humanité.

Il faudrait pour cela être un artiste, une façon de poète débordé par ses propres conceptions, et M. Eiffel ne paraît pas être mieux qu’un mécanicien.

J’ai tenu à faire l’ascension de ce tabernacle du vertige avant qu’il fût achevé, et, je l’avoue, ma stupeur a dépassé mon attente. J’ignorais jusqu’alors et j’aurais eu quelque peine à croire que l’épanouissement, l’expansion totale de la force brute asservie et disciplinée par la mathématique la plus impeccable, pût atteindre l’âme au même endroit et avec la même énergie que l’Art lui-même.

Or, j’ai précisément éprouvé cela, non sans épouvante et sans déconcertement, lorsque, gravissant l’interminable escalier, j’ai vu se développer, sous mes yeux, les entrailles sonores du monstre, la charpente infinie, l’armature fantastique, hallucinée, de ce paquebot de cy-