Page:Bloy - Exégèse des Lieux Communs, Mercure de France, 1902.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

On était des boutiquiers et on avait à juger un poète ! On en tenait un, enfin !!! Tout était dit et Dieu même aurait témoigné vainement en sa faveur.

L’institution démocratique du jury par laquelle un homme supérieur est livré en proie à douze manants, créés pour le servir, est si intégrale que le malheureux ne peut pas récuser ses juges. Il a beau sentir et savoir que chacun d’eux l’a condamné d’avance, s’il ne peut pas démontrer que sa condamnation leur est un profit palpable, il est forcé, pour la défense de sa vie, de paraître les prendre au sérieux, et même de les implorer, sans espérance, en les vomissant.

Le Poète plaida lui-même. Son avocat était un idiot sans conviction ni élan, ébranlé déjà. Le crime était si énorme qu’il y allait de la vie. Si, vraiment, il ne pouvait pas sauver sa tête, du moins, il voulait que des paroles généreuses eussent été dites, et que, quelle que fût l’abjection des bourgeois immondes qui l’enverraient à la guillotine, ils gardassent, tout de même, un souvenir inquiétant de leur exécrable justice.

Il parla près d’une heure, avec une force inouïe. Il raconta sa vie douloureuse et fière, sa solitude, sa pauvreté, la régularité quasi-monastique de son existence de chaque jour. Il périssait, maintenant, victime de la plus inexplicable erreur, uniquement parce qu’il lui était impossible de se rappeler et de