Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/10

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un ciel pâle. Car l’existence de la pauvre femme avait été fort mélancolique.

Depuis la mort de son mari tué à Champigny et dont le jeune homme se souvenait à peine, elle n’avait cessé de porter le deuil, s’occupant exclusivement de l’éducation de son fils qu’elle ne quittait pas un seul jour. Elle n’avait jamais voulu l’envoyer aux écoles, redoutant pour lui les contacts, s’était chargée complètement de son instruction, lui avait bâti son âme avec des morceaux de la sienne. Il tenait même de ce régime une sensibilité inquiète et des nerfs singulièrement vibrants qui l’exposaient à de ridicules douleurs, ― peut-être aussi à de véritables dangers.

Quand l’adolescence était arrivée, les fredaines prévues qu’elle ne pouvait pas empêcher l’avaient faite un peu plus triste, sans altérer sa douceur. Ni reproches ni scènes muettes. Elle avait accepté, comme tant d’autres, ce qui est inévitable.

Enfin, tout le monde parlait d’elle avec respect et lui seul au monde, son fils très cher, se voyait aujourd’hui forcé de la mépriser ― de la mépriser à deux genoux et les yeux en pleurs, comme les anges mépriseraient Dieu s’il ne tenait pas ses promesses !…

Vraiment, c’était à devenir fou, c’était à hurler dans la rue. Sa mère ! une empoisonneuse ! C’était insensé, c’était un million de fois absurde, c’était absolument impossible et, pourtant, c’était certain. Ne