Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/113

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— Enfin, se disait-il, pourquoi cette lettre ? Je n’ai rien fait, en somme, pour la séduire, cette jolie femme. C’est tout au plus si je lui ai parlé deux fois, seul à seule, et je suis bien sûr qu’elle a dû me prendre pour un idiot. Il est vrai que je ne suis pas plus dégoûtant qu’un autre, surtout lorsque je dis des vers après dîner. Je conçois même très bien qu’une femme, à ce moment-là, puisse avoir un emballement, une toquade. Mon Dieu ! oui, pourquoi pas ? Mais tout de même, cette lettre est un peu raide et je trouve que le rendez-vous manque par trop de préliminaires.

Il se moralisa toute la journée, se fit à lui-même les plus sages remontrances, car ce jeune homme se nourrissait exclusivement des racines de la vertu.

Le mari était un ami ancien de sa famille qui l’avait utilement protégé. Il lui devait son emploi au ministère, la promesse d’un brillant avenir, un assez grand nombre de relations agréables, et il dînait chez lui plusieurs fois par mois. Il ne pouvait cocufier cet homme sans se plonger, tête en avant, dans un puits d’ordures. Cela, c’était le déshonneur certain, absolu, l’acte le plus bas et le plus fétide, une trahison à ne plus jamais relever la tête, etc.

En conséquence, il prit la résolution généreuse d’aller fort exactement au rendez-vous.