Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/136

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Voyons, décidément, vous me prenez pour un jobard. Quatre-vingt mille francs ! Pourquoi donc pas un petit million, pendant que vous y êtes ?

Ces paroles raisonnables me furent dites, il y a quinze ans, par un gros vigneron de la Charente-Inférieure dont la large face ressemblait au derrière d’un singe papion.

Je ne peux pas dire que j’avais eu beaucoup de confiance en allant trouver ce marchand de vins richissime, jusqu’alors inconnu de moi. Je savais trop le dénuement proverbial des millionnaires et leur guigne atroce qui ne permet jamais que la plus mince partie de leur avoir soit disponible au moment précis où on les implore.

Toutefois, l’énormité même de la somme à obtenir me faisait espérer, au moins, quelques égards. Mais, dès le premier coup d’œil, j’avais eu le pressentiment de mon insuccès fatal et je n’avais accompli la démarche que pour libérer ma conscience.

Démarche, il est vrai, des plus singulières. Il s’agissait de faire entrer dans cette futaille une quantité spécifique de désintéressement familial pouvant équivaloir à la dixième partie d’un million, et j’étais, à coup sûr, l’ambassadeur le plus mal troussé pour ce genre de négociations.

— Mon Dieu ! monsieur, répondis-je, vous êtes vraiment trop aimable de ne pas lâcher tout de suite