Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/198

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semblance, ému de pitié pour cet animal dont il prévoyait la déconfiture.

Sur-le-champ la résolution d’Aristobule fut décrétée. Il prononça que son ami était une horrible canaille, un fangeux traître qui lui tendait un piège infernal. En conséquence, il fit exactement le contraire de ce qu’on lui conseillait et, quelques semaines plus tard, fut obligé de déposer son bilan.

Cette ruine fut un coup de lumière dans sa nuit. Il vit ou crut voir clairement qu’on ne l’avait pas trompé. Pour la première fois, il trouva bon que sa femme le qualifiât de jobard, de propre-à-rien et même de souteneur par une flagrante contradiction dans les termes, car tel fut le premier élan de cette compagne.

Cependant, il craignait encore de se leurrer.

— Pourquoi, demanda-t-il au prophète, ayant l’air de lui parler du fond de sa cave, pourquoi donc m’avoir prévenu ?

L’autre expliqua simplement qu’il avait redouté la misère pour lui et même pour sa femme, bien que madame Aristobule n’eût jamais daigné l’avantager de sa considération.

Ces paroles véridiques — si toutefois il est permis, en un tel sujet, d’emprunter le style respectable des Livres saints, — renouvelèrent en l’âme saccagée de ce négociant la jeunesse du méléagride, animal décrit par Aristote et qu’on croit être le dindon.