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Pauvre petite maman, au milieu des morts !…

J’allais souvent errer à l’entour de la palissade du tueur, attiré là, traîné là comme par des griffes.

Je n’apercevais presque rien à travers les planches, mais je respirais l’odeur abominable du repaire et je voyais souvent filer devant moi des rats énormes, je ne sais quelles créatures affreuses qui paraissaient venir de l’étang.

J’en vins à penser que c’était peut-être là qu’on l’avait mise, la disparue — car j’avais déjà le pressentiment que le monde est fait à l’image infâme de ce chantier d’assommeurs des bêtes qui souffrent.

Je dus faire pitié à Dieu lorsqu’il m’arriva — combien de fois ! — de me jeter contre la clôture et d’appeler ma mère en sanglotant.

Ah ! j’étais bien abandonné, je vous assure. Mon père, que je voyais à peine une fois tous les trois mois, pendant une après-midi, me régalait exclusivement de calottes, me traitant de jeune idiot, de petit « crétin exalté », de petit voleur (!) et ne se gênant pas pour exhaler, en propres termes, son désir de me voir « crever » bientôt.

Je me souviens qu’un jour, ayant parlé de promenade, il me conduisit le long de l’étang, à un endroit vaseux et plein de roseaux où je m’arrêtais souvent, des heures entières, pour contempler le grouillement des têtards ou des salamandres.

Tout à coup, il m’ordonna durement d’aller lui