Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/112

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dont le manche est en os. Comment pouvez-vous concilier de tels abus avec les sentiments fraternels que vous venez d’exprimer ? Songez-vous qu’il a fallu égorger d’innocents quadrupèdes pour que ce faste criminel vous fût accordé ?

Je n’essaierai pas de vous dépeindre l’enthousiasme de l’auditoire. Ce fut une clameur générale, un délire. On applaudissait, on trépignait, on aboyait, on imitait des cris d’animaux. Juste le succès d’un cabotin de café-concert. Lorsqu’un peu de calme se fut rétabli dans la fourrière, la première parole articulée qui se fit entendre sortait du groin désopilant et fariboleur de mon vis-à-vis. Il gueulait ceci :

— Ah ! pour le coup, mon bonhomme, tu as ton compte. (Il en était au tutoiement.) Il n’y a pas à dire mon bel ami ! Cette fois, c’est un théolozien qui t’interroze, un ministre des autels, milledioux ! Qu’est-ce que tu vas lui répondre, viédase ?

La réponse fut telle qu’un silence général succéda. À l’exception du dernier chenapan qui avait parlé, tous les fronts se penchèrent sur les assiettes, visiblement inquiets d’une plaisanterie qui allait si loin. J’avançai la tête pour voir le souffre-douleur. Il pleurait, le visage dans ses deux mains.

Vous savez, Gacougnol, si c’est dans ma nature de supporter que les faibles soient opprimés devant moi. Je me levai donc, au milieu de la stupeur, et faisant le tour de la table, je vins frapper du plat de la main l’épaule du