Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/127

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l’égout. Mais, après une telle journée, c’était impossible !

Elle le sentait bien, parbleu ! cette jolie toilette avait modifié son cœur. On ne se transforme pas seulement au dehors. C’est une sottise de le prétendre. Et puis, ce monsieur Marchenoir, que paraissait admirer lui-même son protecteur bénévole et dont les paroles inouïes se répandaient en elle comme de la lumière et des parfums, ne lui avait-il pas fait l’honneur incroyable de lui parler amicalement, de la traiter en égale ? Ne faisait-il pas exactement pour son âme, depuis trois heures qu’on était ensemble, ce que monsieur Gacougnol avait fait pour son pauvre corps de mendiante guenilleuse, affamée et désespérée ?… Son épouvante et son dégoût furent si énormes que la pensée lui vint de ne pas rentrer du tout, de marcher toute la nuit, toutes les nuits, et de supplier Gacougnol, puisqu’elle irait chez lui tous les jours, de la laisser dormir une heure dans un coin.

Elle en était là de ses pensées, lorsque des consommateurs nouveaux apparurent. La malheureuse ne put retenir un cri d’effroi.

Ces arrivants frappaient du pied sur le seuil et secouaient leurs vêtements couverts de neige. C’était la première de ce crucifiant hiver parisien où les balayeurs municipaux se virent contraints de l’entasser sur les boulevards, à la hauteur d’un premier étage.

Gacougnol, qui observait attentivement sa tremblante amie et qui pénétrait, en souriant, son inquiétude, s’empressa de la rassurer.